• Ignace Philippe Semmelweis 2ème partie

    Rejet par l'institution médicale[modifier]

    Malgré un résultat aussi spectaculaire, Semmelweis refusa de communiquer officiellement sa méthode aux cercles savants de Vienne. Il n'eut pas envie non plus de l'expliquer sur le papier, et c'est Ferdinand von Hebra qui, finalement, écrivit deux articles expliquant l'étiologie de la fièvre puerpérale, et recommandant vivement l'usage de l'hypochlorite de calcium comme préventif. Mais, bien que des médecins étrangers et les principaux membres de l'École viennoise eussent été impressionnés par cette découverte patente, les articles n'arrivèrent pas à lui attirer un large soutien. Ses observations allaient contre l'opinion qui prévalait alors chez les scientifiques, lesquels (parmi d'autres causes aussi extravagantes) attribuaient les maladies à un déséquilibre dans le corps des « quatre humeurs fondamentales », une théorie connue sous le nom de dyscrasie. Son protocole de lavage des mains était lourd : il devait être prolongé pendant au moins cinq minutes et utilisait une solution à base de chlore qui pouvait être irritante4. Et puis les médecins n'avaient aucune envie d'avouer qu'ils étaient responsables de tant de morts.

    Il y avait aussi des questions d'idéologie qui empêchaient à l'époque l'institution médicale de reconnaître et de mettre en œuvre la découverte de Semmelweis. L'une d'elles était que cette thèse semblait ne reposer sur aucune base scientifique, puisqu'on ne pouvait en donner aucune justification. L'explication scientifique ne vint que quelques décennies plus tard quand Pasteur, Lister et d'autres pionniers auront développé la théorie microbienne de la maladie. Un autre problème idéologique était que les idées de Semmelweis paraissaient s'appuyer sur une conception religieuse de la mort, qui contraignait les médecins à se purifier les mains après les autopsies ; tout cela sentait le «religieux », le « superstitieux » dans l'environnement intellectuel qui dominait à l'époque dans les cercles scientifiques et qui était directement issu de l'âge des Lumières.

    En 1848, Ignace Semmelweis étendit l'usage de son protocole prophylactique en faisant nettoyer tous les instruments entrant en contact avec les parturientes, et il montra, grâce aux statistiques, qu'il avait réussi à éliminer presque totalement la fièvre puerpérale de la salle d'hôpital, ce qui conduisit Škoda à vouloir créer une commission officielle pour examiner et rendre publics ces résultats. Cette proposition fut, en fin de compte, rejetée par le Ministère de l'Instruction publique pour des raisons de querelles politiques au sein de l'université et de la bureaucratie gouvernementale, entre les libéraux battus de 1848 et les conservateurs nouvellement au pouvoir. Irrité par les rapports favorables qui remettaient indirectement en cause ses convictions et ses actes, Johann Klein refusa de renouveler la nomination de Semmelweis dans son service d'obstétrique en mars 18495. Sans se laisser démonter, ce dernier posa sa candidature à un poste de professeur non rémunéré (Privatdozent) en obstétrique, mais son passé de militant libéral fut sans doute une des raisons qui firent que sa candidature fut ajournée. Pour démontrer la validité de ses conclusions cliniques, Semmelweis commença des expériences avec des animaux, assisté du physiologiste Ernst Brücke et avec l'accord de l'Académie des Sciences de Vienne.

    Comme cela a été dit plus haut, le premier compte rendu de la découverte de Semmelweis fut publié par le professeur Ferdinand von Hebra en décembre 1847 dans le Zeitschrift der kaiserlich-königlichen Gesellschaft der Ärzte zu Wien, suivi par un exposé supplémentaire du même médecin en avril 1848. En octobre 1849, Škoda prononça un discours sur ce sujet à l'Académie Impériale et Royale des Sciences. Malheureusement Semmelweis avait négligé de corriger les papiers de ses deux amis, et les erreurs qu'ils commirent purent laisser croire qu'il soutenait que la fièvre puerpérale était uniquement causée par un virus infectieux. On réussit pourtant enfin à convaincre Semmelweis qu'il devait présenter lui-même sa découverte Sur l'origine de la fièvre puerpérale à la communauté médicale de Vienne. Le 15 mai 1850, il donna une conférence devant l'Association des Médecins à Vienne sous la présidence de Rokitansky, discours suivi d'un second le 18 juin 1850. Au mois d'octobre suivant, il reçut sa nomination de Privatdozent en obstétrique, qu'il attendait depuis plus d'un an, mais le décret gouvernemental stipulait qu'il devait enseigner avec un mannequin, condition qui lui parut quelque peu humiliante. Confronté à des difficultés financières, et peut-être aussi découragé, il quitta brusquement Vienne pour Pest, sans même avoir prévenu ses amis les plus proches. Cette décision hâtive anéantissait ses chances de convaincre peu à peu les scepticistes viennois, alors qu'il disposait du soutien de partisans dévoués tels que Rokitansky, Skoda, Hebra et d'autres collègues encore.

    En Hongrie, Semmelweis fut chargé de diriger la maternité de l'Hôpital Saint-Roch à Pest de 1851 à 1857. Sa politique de lavage des mains et du matériel y abaissa à 0,85 % le taux de mortalité due à la fièvre puerpérale, et ses idées furent bientôt acceptées dans toute la Hongrie, après qu'un décret gouvernemental eut ordonné que ses méthodes prophylactiques fussent appliquées partout. Il se maria, eut cinq enfants et se constitua une importante clientèle privée. Il occupa la chaire d'obstétrique théorique et pratique à l'Université de Pest en juillet 1855 et refusa, en 1857, l'offre qu'on lui faisait d'une chaire d'obstétrique à Zurich. Vienne, cependant, lui restait toujours complètement hostile.

    En 1861, Semmelweis finit enfin par publier sa découverte (14 ans plus tard) dans un livre, Die Ätiologie, der Begriff und die Prophylaxis des Kindbettfiebers, volume de près de 500 pages, mêlant données épidémiologiques et considérations caustiques sur son milieu professionnel4. Un certain nombre de critiques défavorables, parues à l'étranger au sujet de son livre, l'amenèrent à se déchaîner contre ses adversaires lors de congrès de gynécologues et d'obstétriciens au cours desquels il pratique l'invective, et dans une série de lettres ouvertes, écrites dans les années 1861-1862, qui ne favorisèrent guère l'acceptation de ses idées. À une conférence de médecins et de biologistes allemands, la plupart des orateurs rejetèrent sa doctrine et, parmi eux, Rudolf Virchow.

    Le refus de la communauté médicale de reconnaître cette découverte condamna à une mort tragique et inutile des milliers de jeunes mères, mais ce fut en fin de compte les idées de Semmelweis qui triomphèrent. On cite quelquefois son cas comme l'exemple d'une situation où le progrès scientifique a été freiné par l'inertie des professionnels bien en place.

    En juillet 1865, Semmelweis fut victime de ce qui semblait être une dépression nerveuse, bien que quelques historiens modernes croient que les symptômes qu'il présentait montrent qu'il était atteint d'un début de maladie d'Alzheimer ou de démence sénile. Après un voyage à Vienne que lui imposèrent ses amis et ses parents, il fut interné dans un asile psychiatrique, le Niederösterreichische Landesirrenanstalt à Wien Döbling, où il mourut, deux semaines plus tard seulement. Traditionnellement, on parle d'un empoisonnement généralisé du sang, semblable à celui de la fièvre puerpérale, qu'il aurait contracté en se blessant à un doigt, au cours d'une opération. Un article de H. O. Lancaster, paru dans le Journal of Medical Biography, contredit cette affirmation :

    « On a beaucoup écrit sur Semmelweis, mais l'histoire authentique de sa mort, le 13 août 1865, a dû attendre 1979, pour être confirmée par S. B. Nuland. Après quelques années, où sa santé mentale s'était détériorée, Semmelweis fut confié à un asile privé de Vienne. Là il devint violent au point de se faire battre par le personnel de l'asile ; si bien qu'il mourut de ses blessures quinze jours plus tard. C'était sonner le glas de ces explications théâtrales selon lesquelles il aurait été blessé et infecté au cours d'une autopsie, ce qui aurait été, si cela avait été exact, un merveilleux cas d'ironie grecque. »

    Sur la mort de Ignaz Semmelweis, KC Carter, S Abbott et JL Seibach6 rapportent cinq documents dont le rapport d'autopsie pratiquée par Rokitansky (ou un de ses assistants) qui prouve que I. Semmelweis est décédé des suites de mauvais traitements subis lors de son internement qui sont à l'origine d'une septicémie avec de nombreux foyers infectieux superficiel - gangrène au niveau du majeur de main droite, que profonds - "pyopneumothorax" et foyer infectieux métastatique du rein gauche.

    C'est seulement après la mort de Semmelweis que fut élaborée la théorie des maladies microbiennes, et l'on voit maintenant en lui un pionnier des mesures d'antisepsie et de prévention des infections nosocomiales.

    Par ailleurs, les volte-faces primesautières durant sa carrière médicale et les circonstances de sa mort peuvent faire penser que Semmelweis devait souffrir peut-être d'un trouble bipolaire de l'humeur, autrement dit, avoir été maniaco-dépressif.[réf. souhaitée]

    Le destin tragique de ce médecin visionnaire sera pris comme sujet de la thèse de médecine soutenue en 1924 par un certain Louis-Ferdinand Destouches, mieux connu sous le nom de Louis-Ferdinand Céline7.

    Rôle historique[modifier]

    Milton Wainwright, dans une étude de 20038 intitulée The Semmelweis legend, rappelle que, dans les dernières années du XVIIIe siècle, Charles White avait montré que des mesures d'isolement et de propreté pouvaient prévenir radicalement la fièvre puerpérale (et que les désastres qui, dans l'hôpital de Vienne, suivirent l'abandon de la méthode de White furent le point de départ des réflexions de Semmelweiss); qu'Alexander Gordon, en 1795, reconnaissait le rôle des médecins, y compris le sien, dans la propagation de la fièvre puerpérale; et qu'en 1843, Oliver Wendell Holmes avait adopté les idées de White et de Gordon et précisé leurs conseils préventifs.

    Toutefois, dans un livre paru la même année (2003) que l'étude de Milton Wainwright, Kay Codell Carter argumente de façon très détaillée (notamment contre Irvine Loudon) en faveur du mérite de Semmelweis par rapport à ses devanciers. Contrairement à ceux-ci, Semmelweis tirait de ses observations la conclusion que la fièvre puerpérale avait un agent unique. Cette idée ouvrait la voie à l'hypothèse microbienne. Semmelweis n'alla pas jusque-là, mais dès l'époque de sa mort, ce pas fut franchi par Carl Mayrhofer, un des obstétriciens viennois convertis à ses vues. Dans les années qui suivent, l'hypothèse de la cause microbienne des maladies contagieuses, et en particulier de la fièvre puerpérale, est fréquemment présentée comme étayée par les travaux de Semmelweis9.

    Notes et références[modifier]

    1. Encyclopaedia Universalis Thesaurus Semmelweis
    2. Lesky E. The Vienna Medical School of the 19th Century. Baltimore: Johns Hopkins University Press, 1976.
    3. Noskin G, Peterson L, Engineering Infection Control through Facility Design [archive], Emerging Infectious Diseases, 2001;7
    4. a, b et c Stewardson A, Pittet D, Ignác Semmelweis—celebrating a flawed pioneer of patient safety [archive], Lancet, 2011;378:22-23
    5. Frederick Sweet, Professor, Washington University School of Medicine, St. Louis, Missouri
    6. K.C. Carter, S. Abbott et JL Siebach. Five documents relating to the final illness and death of Ignaz Semmelweis. Bull. Hist. Med. 1995, 69:255-270
    7. Site Les grands médecins : [archive] Stéphane Tarnier -
    8. Milton Wainwright, « An alternative view of the history of microbiology, VIII. The Semmelweis legend », Advances in applied microbiology, vol. 52, 2003, pp. 347-350. (Partiellement consultable sur Google Books.)
    9. Kay Codell Carter, The Rise of Causal Concepts of Disease, Ashgate Publishing, 2003, pp. 38-75. Partiellement consultable sur Google Books [archive].

    Œuvres[modifier]

    • Fall von sackartiger Ausbuchtung des schwangeren Gebärmutterhalses, Wiener medizinische Wochenschrift, 1857.
    • A gyermekágyi láz kóroktana (L'étiologie de la fièvre puerpérale), Orvosi hetilap, 1858; no. 1: 1-5; no. 2: 17-21; no. 5, 65-69; no. 6: 81-84; no. 21: 321-326; no. 22: 337-342; no. 23: 353-359. (Première publication de ses idées).
    • Die Aetiologie, der Begriff und die Prophylaxis des Kindbettfiebers. Pest-Wien-Leipzig, 1861. Réimprimé avec une nouvelle introduction par A. F. Guttmacher. New York-London, 1966.
    • Zwei offene Briefe an Dr. Ed. Casp. Jac. von Siebold und an Dr. F. W. Scanzoni, Professoren der Geburtshilfe, Vienne, 1861.
    • Zwei offene Briefe an Dr. Joseph Späth, Professor der Geburtshilfe an der k. k. Josephs-Akademie in Wien und an Hofrath Dr. F. W. Scanzoni, Professor der Geburtshilfe zu Würzburg, Vienne, 1861.
    • On the Origin and Prevention of Puerperal Fever (De l'origine et de la prévention de la fièvre puerpérale) Medical Times and Gazette, London, 1862; 1: 601-602.
    • Gesammelte Werke Iena, Gustav Fischer, 1905. Édité et partiellement traduit du hongrois par Tibor Győry.

    Bibliographie[modifier]

    • Louis-Ferdinand Céline, Semmelweis et Autres Écrits médicaux, Gallimard, coll. « L'imaginaire », 1977 , Thèse de médecine de 1924 qui narre la vie de Semmelweis. ISBN 2-07-074268-7
    • Frank G. Slaughter, Semmelweis, cet inconnu, éd. Presses de la cité, 1953
    • Morton Thompson, Tu enfanteras dans la souffrance, éd. Presses de la cité, 1954
    • Jean Thuillier, Le paria du Danube, éd. Balland, 1983
    • K C Carter, Ignaz Semmelweis, Carl Mayrhofer, and the rise of germ theory, Medical History, janvier 1985; 29(1): 33–53. En ligne.
    • Kay Codell Carter & Barbara Carter. "Childbed Fever: A scientific biography of Ignaz Semmelweis" éd. Greenwood Press. Londres 1994 ISBN 0-313-29146-2
    • Carl Hempel, Eléments d'épistémologie, Armand Colin, 2002 (2è éd.), ISBN 2-200-26425-9
    • Pierre Bellemare, Destin sur ordonnance, éd. Albin Michel, 2003

    Cinématographie[modifier]

    Drame / Pièce[modifier]

    • Semmelweis par Jens Björneboe, 1968 ; Gyldendal Norsk Forlag ; Gyldendals moderne skuespillserie, Norvège.

    Liens internes[modifier]

    Liens externes[modifier]

    « Troubles des comportements alimentairesLeucémies aiguës de l'enfant 1ère partie »
    Partager via Gmail Yahoo! Google Bookmarks