Voir le document Les règles douloureuses (dysménorrhée)
Une nouvelle perspective se présente aux femmes en âge de procréer : avoir ou pas des menstruations. Mais les menstruations sont-elles nécessaires? Quels avantages aurait-on à les supprimer? Cet article présente différents points de vue sur l’impact que peut avoir la suppression des règles sur la santé des femmes.
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L'automne dernier, l'hebdomadaire américain TIME disait d'un produit appelé Seasonale®1 que c'était l'une des inventions les plus chouettes de l'année (« coolest inventions »). Accessible sur ordonnance, le boîtier Seasonale® contient 84 pilules contraceptives à prendre quotidiennement suivies de sept pilules inertes — un programme qui permet à l'utilisatrice de surseoir à ses menstruations pendant 12 semaines.
Bien que la compagnie pharmaceutique ait orchestré la mise en marché de son produit de façon telle qu'on ait pu croire à une grande découverte, le phénomène n'est pas nouveau : depuis l'avènement de la pilule contraceptive il y a plus de 40 ans, les femmes savent qu'elles peuvent retarder leurs menstruations tant qu'elles prennent une pilule active par jour. Plusieurs en ont profité à l'occasion, au moment de vacances ou de compétitions sportives, par exemple. Certaines ont même, avec l'aval de leur médecin, pratiqué la pilule en continu sur de longues périodes.
La systématisation de cette pratique grâce à Seasonale® — une seule période de menstruation par trois mois, soit quatre par année — a, évidemment, soulevé plusieurs questions, dont la plus sensationnelle : « Les menstruations sont-elles nécessaires? ».
« Les menstruations sont-elles nécessaires? »
Il n'y a pas de « nécessité physiologique » pour qu'une personne sous anovulants ait ses règles, nous confirme Dre Sylvie Dodin2, professeure au Département d'obstétrique et gynécologie de l'Université Laval. « De toute façon, les menstruations provoquées à l'arrêt des pilules sont purement artificielles. Dans un cycle menstruel classique, les menstruations sont déclenchées pour décaper l'utérus quand la fécondation n'a pas eu lieu. Mais comme les anovulants empêchent l'ovulation et l'épaississement de l'utérus, le saignement qui survient lorsqu'on cesse la prise de pilules actives ne remplit plus cette fonction. » D'ailleurs, la norme établie au départ des 7 pilules inertes sur 21 actives n'avait pour rôle que de donner l'impression aux femmes que tout se déroulait « comme d'habitude ».
Il existe quand même trois arguments s'opposant à la suppression des menstruations.
- Premièrement, le saignement menstruel donne de l'information sur le métabolisme. D'une part, l'absence de saignement (ce qu'on appelle l'aménorrhée) peut signaler un problème de santé sous-jacent plus grave, tels un trouble alimentaire ou une maladie endocrinienne. Les caractéristiques du flot sanguin (couleur, odeur, abondance) sont également révélatrices.
- Deuxièmement, les règles ou leur absence demeurent le meilleur moyen pour une femme de savoir si elle est enceinte ou pas; sans elles, une grossesse peut rester non diagnostiquée pendant quelques mois. On s'inquiète particulièrement des dangers que cela représente pour les jeunes filles.
- Troisièmement, certains médecins affirment que les menstruations constitueraient un « système de nettoyage », permettant notamment d'éliminer les excès de fer; par conséquent, leur suppression serait dommageable3. Cette objection est peu fréquente. (Malheureusement, elle évoque aussi une idée antique et durable selon laquelle le sang menstruel serait chargé de déchets et la femme menstruée, impure.)
Des menstruations par centaines
À l'opposé, des médecins n'hésitent pas à dire que le nombre très élevé de périodes de menstruations que connaissent les Occidentales aujourd'hui serait désavantageux pour leur santé. Car si les femmes qui mettent plusieurs enfants au monde et les allaitent longuement peuvent ne connaître qu'une centaine de menstruations durant leur vie, ce nombre passe facilement à 450 ou plus pour celles qui n'ont qu'un enfant. Le Dr Elsimar Coutinho, lui aussi professeur de gynécologie et d'obstétrique, a même affirmé dans son livre Is Menstruation Obsolete?4 que ce processus mensuel est inutile et malsain (« unhealthy ») parce qu'il provoque d'innombrables problèmes physiques et psychologiques.
Il est vrai que pour un nombre important de femmes, les menstruations sont particulièrement douloureuses ou affaiblissantes. Il faut également compter celles qui souffrent des différentes manifestations du syndrome prémenstruel (SPM), et parfois de périodes dépressives. Dans leurs cas, la réduction du nombre de menstruations représente un soulagement majeur. Mentionnons également que des chercheurs ont émis l'hypothèse qu'une réduction de la fréquence des menstruations et des ovulations pouvait réduire les risques de cancers du sein, de l'endomètre et des ovaires.
Mais de là à déclarer, comme le fait le Dr Coutinho, que les menstruations sont « un gaspillage de ressources » et devraient être supprimées chez toutes les femmes… Bien évidemment, celles et ceux qui s'opposent à une médecine mécaniste s'insurgent.
« C'est une véritable hérésie! », clame l'homéopathe, naturopathe et herboriste Mona Hébert5, qui se spécialise dans le soin des femmes. « Ne pas être menstruée, ce n'est pas normal! Et il faut bien regarder les choses en face : les menstruations provoquées artificiellement lorsqu'on prend la pilule, ce n'est pas normal non plus. Dans toute cette approche, on cherche à régulariser le « féminin », à mettre le corps des femmes dans une boîte standard pour qu'il fonctionne rondement. Je crois que se priver de menstruations entraîne des répercussions négatives dans plusieurs aspects de notre vie, car le cycle menstruel a un sens et il est utile aux femmes, tant psychiquement que physiquement. »
Plus d'hormones, plus de danger?
L'autre question soulevée par la pilule en continu concerne la quantité additionnelle d'hormones ingérées : « Est-ce dangereux pour la santé? ». On sait que de nombreuses hypothèses scientifiques voient dans la consommation excessive d'hormones une des causes de l'accroissement des maladies contemporaines, dont les maladies auto-immunes et certains cancers. Or, prendre des anovulants en continu représente une consommation additionnelle pouvant aller jusqu'à 30 %.
Mona Hébert fait remarquer comment les « bonnes » raisons de prendre des hormones ne cessent de s'additionner. « Permettre la contraception a été une excellente raison mais, pour ça, il y a d'autres moyens moins nocifs, dont ceux qui s'adressent aux hommes. Depuis, s'est rajouté le désir de réduire les inconforts de la ménopause, de soigner l'acné et autres problèmes, et maintenant de limiter les menstruations! On sait pourtant que la consommation d'hormones est néfaste pour la santé. Pendant ce temps, les compagnies pharmaceutiques font des milliards. »
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Le danger pour la santé de cet excès d'hormones semble impossible à quantifier. En plus, il ne concerne pas que les femmes sous ordonnance : toute la population est affectée par les produits de synthèse libérés dans la nature — dont les oestrogènes évacués par l'urine des femmes sous contraceptifs — qui se retrouvent dans la chaîne alimentaire. « Une fois ingérées bien malgré nous, ces substances agissent comme un cocktail explosif d'hormones et donnent des signaux perturbateurs à notre système endocrinien, soutient Mona Hébert. Pire, l'impact se transmet génétiquement à nos descendants. »
Dre Dodin s'inquiète également de cette quantité accrue d'oestrogènes dans le métabolisme féminin. « Les cellules mammaires sont peut-être soumises à trop d'oestrogènes. » Elle fait également remarquer que, tant dans un cycle normal que dans celui qui est réglé par des anovulants, il y a toujours quelques jours où le niveau d'oestrogènes auquel est exposé le tissu mammaire est beaucoup plus faible (début du cycle menstruel ou semaine sans anovulants). « Peut-être que cette pause est nécessaire. On ne le sait pas. »
À notre connaissance, la seule recherche scientifique sur les anovulants en continu a été menée auprès de 1 400 femmes sur une période d'un an avec le produit Seasonale® en cycle de 91 jours. Elle n'a révélé aucune augmentation des risques pour la santé par rapport à la prise conventionnelle d'anovulants du même type par cycle de 28 jours6.
Prudence
Selon Dre Sylvie Dodin, il faut regarder chaque situation individuellement. « Il existe des cas, certainement, où les avantages sont assez importants pour justifier la prise d’anovulants en continu : quand les menstruations sont très irrégulières, à l'approche de la ménopause par exemple — bien qu'on ne mesure pas encore bien les effets à long terme des anovulants chez les femmes de plus de 40 ans. On parle également de cas où les menstruations sont très difficiles ou quand la personne se retrouve dans un contexte contraignant, comme lors d’une randonnée dans le désert… ». Elle-même n'hésite pas à recommander la prise d’anovulants en continu à l'occasion, mais généralement pour de courtes périodes.
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Le produit Seasonale® n'a été autorisé par l'agence américaine Food and Drug Administration qu'en septembre 2003 et, au moment d'écrire ces lignes, il n'était pas encore disponible au Canada ou en France. Auparavant, la pratique de la pilule contraceptive en continu n'était pas tellement répandue. Nous n’avons donc pas, d’après l’avis de Dre Dodin, le recul nécessaire pour savoir si la suppression des menstruations pourrait entraîner des problèmes à moyen ou long terme. « Et nous n'aurons pas ce recul avant au moins 10 ou 15 ans », croit-elle.
Par contre, on sait que tous les effets secondaires habituels des anovulants se produisent aussi, évidemment, avec la prise en continu. Ils incluent, rappelons-le, un risque très faible d'athérosclérose, d'attaques cardiaques et d'accidents vasculaires cérébraux.
Si l'American College of Obstetricians and Gynecologists n'a pas officiellement pris position sur Seasonale, le National Women's Health Network, un organisme américain indépendant, a émis un avis selon lequel il soutenait l'accessibilité aux pilules contraceptives à cycle étendu pour les femmes qui le désiraient7, tout en insistant sur la nécessité de prendre une décision réfléchie. Les rédactrices de l'avis prennent la peine de préciser : « La discussion entourant la décision de prendre des anovulants en continu ne doit exagérer ni la nécessité médicale de cette option, ni ses bénéfices, quels qu'ils soient. Il ne faut surtout pas laisser croire qu'une réduction des menstruations est bénéfique pour la santé, parce que la recherche ne soutient rien de tel. Et il ne faut pas, non plus, transmettre aux jeunes filles une perception négative des menstruations et du cycle féminin. »
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Pour en savoir plus
Site des Laboratoires Barr, fabricant de Seasonale® : www.barrlabs.com
Museum of Menstruations and Women’s Health : www.mum.org
O'Grady Kathleen. Review Essay of the book Is Menstruation Obsolete? How Suppressing Menstruation Can Help Women Who Suffer from Anemia, Endometriosis, or PMS, Museum of Menstruation and Women's Health Web Site. www.mum.org/ismenob.htm
Recherche et rédaction : Lucie Dumoulin Le 22 mars 2004
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Références
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Notes :
1. Comme tous les anovulants, Seasonale® contient des progestatifs et des oestrogènes; également susceptible de provoquer l'arrêt des menstruations, le Depo-Provera® n'est pas un anovulant et son utilisation n'entraîne pas les mêmes phénomènes. 2. Dre Sylvie Dodin, professeure au Département d'obstétrique et gynécologie, Université Laval; gynécologue-obstétricienne, Hôpital Saint-François d'Assise (CHUQ); titulaire de la chaire Lucie et André Chagnon pour l'avancement d'une approche intégrée en santé. Entretien réalisé le 16 mars 2004. 3. Doctissimo. Santé, La contraception - Vos règles quatre fois par an, Doctissimo. [Consulté le 18 mars 2004]. www.doctissimo.fr 4. Coutinho Elsimar Dr. Is Menstruation Obsolete? How Suppressing Menstruation Can Help Women Who Suffer from Anemia, Endometriosis, or PMS, Oxford University Press, Royaume-Uni, 1999. 5. Mona Hébert, homéopathe, naturopathe et herboriste, auteure du recueil La Médecine des femmes - Une vision naturelle de la santé au féminin, éd. du Roseau, Canada, 2003. Entretien réalisé le 16 mars 2004. 6. Anderson FD, Hait H. A multicenter, randomized study of an extended cycle oral contraceptive.Contraception. 2003 Aug;68(2):89-96. 7. National Women's Health Network. Publications, Fact sheets – Seasonale (Septembre 2003),NWHN. [Consulté le 18 mars 2004]. www.womenshealthnetwork.org/seasonale.htm
http://www.passeportsante.net/fr/Maux/Problemes/ArticleInteret.aspx?doc=menstruations_perspectives_dumoulin_l_2004_pm
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