• Prescrire demande une réforme du système du médicament

    Prescrire demande une refonte du système du médicament

    Manque d'indépendance des autorités chargées de l'évaluation des médicaments, conflits d'intérêt des experts, pharmacovigilance laissée aux firmes pharmaceutiques, formation et information assurées par ces mêmes firmes, lobbying politique… les critiques pleuvent à l'égard du système français du médicament qui pourrait être éventuellement réformé suite à l'affaire du Médiator.

    C'est en tout cas ce que souhaitent Bruno Toussaint, médecin et directeur de la rédaction de la revue Prescrire, à l'origine de "l'affaire Mediator", et avec lui l'ensemble des professionnels de santé, dont le syndicat des médecins généralistes (SMG) qui s'adresse au ministre de la Santé dans une lettre ouverte diffusée le 4 janvier 2011.

    La revue Prescrire, 30 ans de vigilance sur les médicaments vendus en France

    Prescrire refonte système médicament"Par définition, tout médicament est dangereux, mais tout est question de balance bénéfices/risques et de progrès", estime Bruno Toussaint. "Or, la plupart des médicaments qui arrivent sur le marché n'apportent aucun progrès thérapeutique, critère qui n'est pas exigé pour uneautorisation de mise sur le marché (AMM)". Selon ce médecin généraliste, ce système n'est donc pas bénéfique pour le patient, il crée la confusion en donnant à croire à une efficacité supérieure du nouveau médicament et il entretient le déficit de l'Assurance maladie qui doit rembourser ces nouveaux produits, souvent plus coûteux que ceux déjà sur le marché.

    Véritable poil à gratter des laboratoires pharmaceutiques, empêcheurs de tourner en rond de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps)… la revue Prescrire est en quelques semaines devenue incontournable pour qui s'intéresse peu ou prou à la santé. Elle est pourtant loin d'être nouvelle : cela fait 30 ans que les médecins, pharmaciens et infirmiers qui la composent passent chaque mois au crible des dizaines de médicaments, dont ils évaluent la balance bénéfices/risques à partir de quatre sources d'informations (celles fournies par le laboratoire, celles de l'Afssaps, la littérature scientifique et les publications des autres bulletins indépendants).

    Trois nouveaux médicaments sur le banc des accusés

    Après avoir pointé dès 1997 l'inefficacité et les dangers potentiels du Mediator ®, pointage qui a abouti seulement 12 ans plus tard à son retrait du marché par l'Afssaps, Prescrire désigne trois autres médicaments, toujours sur le marché malgré la connaissance de leurs risques depuis plusieurs années :

    • Le nimésulide (Nexen ® ou autre), un anti-inflammatoire anti-stéroïdien (AINS) accusé de doubler le risque d'atteintes hépatiques graves et de multiplier par 2,5 celui d'hospitalisation pour atteinte hépatique aiguë ;
    • La vinflunine (Javlor ®), un anticancéreux commercialisé pour certains cancers de la vessie, "très peu efficace, qui présente beaucoup d'effets indésirables, qui est autorisé et pris en charge malgré un prix disproportionné" (4 fois plus élevé que celui du traitement de référence) ;
    • Le buflomédil (Fonzylane ® ou autre), un vasodilatateur dont les effets indésirables sont largement supérieurs à l'efficacité, laquelle n'a pas été démontrée.

    Pour Bruno Toussaint, médecin et directeur de la rédaction de Prescrire, il n'y a pas d'alternative : "ces médicaments ne devraient pas être utilisés et mis sur le marché".

    Le buflomédil pourrait d'ailleurs être très prochainement retiré de la vente. Le ministre de la Santé Xavier Bertrand a indiqué que ce médicament était effectivement en cours de réévaluation du bénéfices-risques depuis plusieurs mois. Selon Fabienne Bartoli, adjointe du directeur général de l'Afssaps, une décision pouvant aller jusqu'au retrait ou à la suspension sera prise "dans les premières semaines de 2011". Sans effet thérapeutique démontré, il a des effets indésirables doses-dépendants neurologiques et cardiaques, en particulier en cas de doses élevées ou inadaptées à l'insuffisance rénale, dénonce Prescrire, qui souligne que son usage a déjà conduit à deux décès. Connus depuis 2006, ces effets indésirables, les situations à risque et l'absence de bénéfice clinique du buflomédil n'ont cependant entraîné qu'un retrait du dosage fort plutôt que son retrait total, regrette la revue.

    La pharmacovigilance biaisée par l'industrie pharmaceutique et l'Afssaps ?

     

    Outre ces trois exemples, la revue Prescrire pointe du doigt toute une série de dysfonctionnements dans le circuit du médicament actuel. A commencer par le système de pharmacovigilance. Celui-ci repose à la fois sur les professionnels de santé qui signalent tout effet indésirable à l'un des 31 centres régionaux de pharmacovigilance chapeautés par l'Afssaps, et sur les laboratoires pharmaceutiques eux-mêmes, qui doivent fournir des rapports régulièrement. Déjà à ce niveau, il y a un conflit d'intérêt évident aux yeux du responsable de Prescrire, qui dénonce l'influence excessive des firmes pharmaceutiques sur les agences françaises et européennes du médicament.

    Les informations collectées sont alors évaluées, analysées et, si besoin, font l'objet d'enquêtes complémentaires. C'est le cas pour le buflomédil, dont l'enquête est en cours. "Les résultats sont ensuite présentés à la Commission Nationale de Pharmacovigilance qui est chargée de proposer au Directeur général de l'Afssaps les mesures appropriées. Celles-ci peuvent aller de la modification des informations délivrées sur le médicament en cause à la suspension de sa commercialisation, en fonction de la gravité des effets signalés et de l'estimation de son rapport bénéfice/risque", peut-on lire sur le site des Entreprises du médicament (Leem).

    Pour Bruno Toussaint, s'il existe évidemment des professionnels qui font bien leur métier à tous ces niveaux, "tout cela est sous-équipé, sous-valorisé, sous-financé". Mais les critiques les plus virulentes, le rédacteur de Prescrire les réserve à l'Afssaps : "l'Afssaps privilégie les intérêts économiques des firmes pharmaceutiques plutôt que la sécurité des patients", assène-t-il. "L'Afssaps a accès aux mêmes informations que [Prescrire], et même davantage dans la mesure où les laboratoires sont obligés de répondre à ses demandes". Elle aboutit pourtant beaucoup plus rarement aux mêmes conclusions. Il existe donc un problème de fonctionnement interne et de service rendu, poursuit Bruno Toussaint, regrettant que "l'essentiel de l'activité de l'Afssaps soit de rendre service aux firmes pharmaceutiques qui demandent une autorisation de mise sur le marché (AMM), une extension d'AMM, une prolongation d'AMM…" "Paradoxalement, il est plus difficile d'obtenir le retrait d'un médicament que de déposer une demande d'AMM", souligne-t-il, ajoutant que, comme tout le monde, "Prescrire s'interroge sur les causes de surdité des autorités politiques".

    Que faire pour améliorer le système du médicament ?

    Selon Bruno Toussaint et la revue Prescrire, des améliorations sont donc à apporter à tous les niveaux :

    • Les professionnels de santé, en tant que prescripteurs, ont un rôle à jouer en s'informant auprès de sources fiables, autres que les AMM et les résumés des caractéristiques des produits (RCP) ;
    • Les firmes pharmaceutiques, de leur côté, doivent exercer une plus grande responsabilité et être plus transparentes ;
    • Les autorités sanitaires, enfin, doivent prêter plus d'attention aux signaux de pharmacovigilance et penser davantage à l'intérêt des personnes qu'à celui des firmes.

    Le système doit donc être repensé dans son intégralité, si l'on ne veut pas assister à de nouveaux scandales sanitaires dans les mois ou années à venir. Les demandes du SMG adressées à Xavier Bertrand vont d'ailleurs dans le même sens que celles de Prescrire : "il faut développer la recherche publique et renforcer l'évaluation indépendante des médicaments avant leur mise sur le marché. Il faut modifier les législations européennes et françaises pour que les nouveaux médicaments aient à démontrer leur intérêt thérapeutique par rapport au médicament de référence. Il faut rendre les agences du médicament indépendantes des firmes pharmaceutiques que ce soit financièrement ou en termes d'expertises et renforcer la pharmacovigilance. Il faut mettre en place une formation des soignants indépendante des firmes…".

    D'autant que "les cas identifiés par la pharmacovigilance ne sont que la pointe de l'iceberg", affirme Bruno Toussaint, qui espère que l'affaire du Mediator aura suscité une prise de conscience générale. "Il est très rare qu'on ait une idée du nombre de décès liés à un médicament. En France, on estime qu'entre 10 000 et 20 000 morts par an sont dus aux effets indésirables des médicaments".

    Ces appels à la réforme du système actuel d'information et de formation sur les médicaments seront-ils entendus ? En tout cas, le ministre de la santé Xavier Bertrand s'est engagé à renforcer la pharmacovigilance et déclare attendre les conclusions du rapport de l'Igas (Inspection générale des affaires sociales)  mi-janvier pour engager une éventuelle adaptation du système actuel.

    Amélie Pelletier

    Créé le 04 janvier 2011

    Sources :

    - Conférence de presse organisée par Prescrire, le 4 janvier 2011. (Site Internet)
    - Lettre ouverte du SMG au ministre de la Santé, le 4 janvier 2011 (accessible en ligne).
    - " Buflomédil : retrait possible (Afssaps)", lefigaro.fr, 4 janvier 2010 (accessible en ligne)
    - Pharmacovigilance sur le site du Leem (accessible en ligne)
    - Source Xavier bertrand



     

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