Les phtalates et parabens bientôt interdits ?
Gants en plastique, matériel médical, emballages alimentaires, rideaux de douche, ballons, pochettes plastiques… Les phtalates sont partout. Utilisés pour assouplir et rendre flexible le PVC,
ces substances sont suspectées d’être des perturbateurs endocriniens, tout comme les parabènes et les alkylphénols. Alors que des études des autorités sanitaires sont en cours, l’Assemblée
nationale vient d’adopter en première lecture une proposition de loi visant à interdire ces trois groupes de substances. Que penser de cette initiative ?
Régulièrement pointés du doigt par nombre d’experts ou d’associations, phtalates, parabènes et alkylphénols pourraient bientôt définitivement disparaître. Si les écologistes crient victoire,
cette perspective n’est pas du goût de tout le monde… Les fabricants de plastique ont rapidement appelé à l’abandon de cette
proposition de loi portée
par le député Nouveau-centre Yvan Lachaud (Gard). Elle contient un article unique : "La fabrication, l’importation, la vente ou l’offre de produits contenant des phtalates, des parabènes ou des
alkylphénols sont interdites". Une petite bombe que le député justifie simplement : "certaines de ces substances suscitent aujourd’hui des interrogations quant à leurs effets sur notre organisme,
notamment comme perturbateurs du système endocrinien".
Les phtalates, c’est quoi ?
En matière de protection des consommateurs, les députés ont-ils encore grillé la politesse au gouvernement ? Après l’interdiction du bisphénol A initié par le Sénat contre l’avis du ministère de la Santé, les députés s’attaquent cette
fois à trois grands groupes accusés d’être d’importants perturbateurs endocriniens supposés : les phtalates, les parabens et les alkylphénols.
Ce sont indiscutablement les phtalates qui focalisent l’attention du public. A juste titre, car ils ont la propriété de rendre souple le polychlorure de vinyle (PVC) auquel ils confèrent toute sa
flexibilité. Résultat : Ils se retrouvent partout dans notre environnement (gants et bottes en plastique, matériel médical, rideaux de douche, ballons, nappes, jouets, boîtes de conserve,
etc.) et nous y sommes donc régulièrement exposé
Et les parabens alors ?
Ces derniers temps, la mention "sans parabens" fleurit sur les emballages des cosmétiques. Ces conservateurs aux propriétés
antibactériennes et antifungiques, que l’on retrouve également dans les produits pharmaceutiques, les boissons et les yaourts aromatisés, ont été accusés de favoriser le risque de cancer
du sein. Même si aucune étude n’a pu le prouver avec certitude, les fabricants rassurent les consommatrices en certifiant leurs produits sans parabens.
Quant aux alkylphénols, ce sont des agents actifs que l’on retrouve dans les produits ménagers, industriels ou médicaux tels que
détergents et désinfectants.
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Les phtalates n’étant pas réellement maintenus dans la matrice en plastique, ils ont tendance à s’en libérer et se volatiliser sous forme de gaz. Bien que biodégradables, ils peuvent persister
dans les milieux aquatiques (étant très peu solubles dans l’eau) et notamment dans les sédiments, avec des conséquences importantes sur les écosystèmes. Bien qu’étant loin d’être les seules
substances nuisibles dans l’eau (on y trouve également des métaux lourds, des
pesticides, des
dioxines, du PCB…), les poissons se retrouvent contaminés par ces polluants. Conséquence, même s’ils sont bons pour la
santé, l’Anses recommande de n’en consommer que
deux fois par
semaine 1 et
2.
Les phtalates sont-ils dangereux pour la santé ?
On retrouve également les phtalates dans les aliments car ils migrent depuis les emballages. Selon l’INRS 3, l’ingestion via la contamination alimentaire est estimée à
0,25 mg/jour (l’exposition par voie cutanée et par inhalation ne sont notables que lors de manipulations d’articles à forte concentration en phtalates, notamment chez les travailleurs de
certains secteurs industriels).
Pour autant, il ne s’agit pas de mettre tous les phtalates dans le même panier car "tous n’ont pas la même toxicité" précise le Dr Dominique Lafon, médecin toxicologue et responsable de la
thématique "Reproduction et travail" à l’Institut national de recherche et de sécurité. Même si tous n’ont pas été étudiés, certains sont clairement identifiés. Six d’entre eux (DEHP, DBP, BBP,
DIDP, DINP et DIPP2) ont démontré des effets sur l’animal : "Leur administration répétée chez le rongeur a permis d’identifier un effet sur le foie, les reins et le système reproducteur mâle, les
effets variant d’un phtalate à l’autre" 3.
Si une action cancérogène a été démontrée chez le rongeur (apparition de tumeurs hépatiques), le Centre International de recherche sur le cancer (CIRC) estime que cet effet n’était pas
transposable chez l’homme. "En ce qui concerne l’effet de perturbateur endocrinien, il a été montré chez un modèle murin qu’en cas d’exposition pendant la grossesse, le foetus pouvait présenter
des malformations et des dysfonctionnements de l’appareil reproducteur mâle, souligne le médecin toxicologue. Chez l’homme, ces effets sont moins nets et sujets à discussion, mais il est vrai que
si risque il y a, il concerne avant tout les foetus et les très jeunes nourrissons".
Source : INRS
Toutes les substances induisant des mécanismes hormonaux sont difficiles à étudier chez l’homme. Comment évaluer l’exposition, l’isoler des autres substances chimiques de l’environnement et lier
l’exposition à l’apparition de symptômes ? Les obstacles sont nombreux et pour le moment, seuls les modèles animaux permettent de déterminer des risques.
"Même si dans le cas des phtalates et du distilbène par exemple, ce sont des
mécanismes hormonaux qui sont en jeu, il est impossible de les comparer. En effet, il a été possible de mettre directement en cause le distilbène chez les filles de femmes en ayant pris, car ce
médicament cause un type de cancer très rare, comme dans le cas de l’amiante. Or, ça n’est pas le cas pour
les phtalates dont les effets sont plus difficilement mesurables, nuance Dominique Lafon.
Interdire tous les phtalates est-il justifié ?
Bien évidemment, la proposition de loi n’a pas manqué de faire réagir les industriels de la filière plastique. "En voulant se substituer au cadre européen existant et pertinent sur ces sujets
complexes, la proposition de loi adoptée soulève plus de difficultés qu’elle n’apporte de solution : elle est injustifiée scientifiquement, inapplicable en pratique et inappropriée juridiquement"
jugent-ils dans un communiqué
4. Il est certain qu’en l’état, une telle interdiction poserait des problèmes majeurs d’un point de vue économique, notamment pour arriver à trouver des
produits de substitution. Aujourd’hui, des pistes sont étudiées comme des plastifiants d’autres familles chimiques par exemple, mais encore faut-il s’assurer de l’innocuité de ces nouveaux
produits…
D’un point de vue juridique, des dispositions ont d’ores et déjà été prise au niveau européen. Selon la directive
2005/84/CE, certains
phtalates (DEHP, DBP et BBP) sont interdits pour la fabrication des
jouets et des articles
de puériculture destinés aux enfants. Un deuxième groupe de phtalates potentiellement dangereux pour la santé, (DINP, DIDP et DNOP) a été identifié. Mais en "l’absence d’informations
scientifiques suffisantes, l’interdiction de ces substances est limitée aux jouets et articles de puériculture pouvant être mis en bouche par les enfants" précise la législation européenne.
Mais la législation se heurte aux manques de données scientifiques (tous les phtalates n’ont pas été étudiés précisément) et à une logique étonnante : en l’absence de dangers avérés ou
suspectés, la substance n’est pas retirée du marché. En France, l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) planche actuellement sur la
caractérisation des dangers liés à des perturbateurs endocriniens de divers groupes de substances (phtalates, perfluorés, parabènes, etc.). Les résultats sont attendus pour 2012, ce qui fait
dire au Ministre de la santé Xavier Bertrand que cette loi est "prématurée".
Concrètement, cette proposition de loi devra encore passer en examen au Sénat (sous réserve que le gouvernement l’inscrive à l’ordre du jour) avant d’être adoptée. Néanmoins, "avec ce vote, les
parlementaires entrent dans la modernité des enjeux de santé publique qu’incarne la question des perturbateurs endocriniens. Nous attendons du gouvernement et des autorités sanitaires qu’ils
osent à leur tour franchir cette ligne de rupture" se félicite André Cicolella
5, porte-parole du Réseau Environnement Santé.
Yamina Saïdj, le 5 mai 2011
1.
Avis relatif aux bénéfices/risques liés à la consommation de poissons, Anses, 14 juin 2010.
2. Etude des consommations alimentaires des produits de la mer, et imprégnation aux éléments traces, polluants, et Oméga 3, Afssa/Inra/Ministère de l'Agriculture et de la pêche. (
rapport de l'étude Calypso accessible en ligne)
3.
Le point des connaissances sur les phtalates, INRS, 2004.
4. "Vote de l’interdiction des phtalates par les députés : la filière plastique s’alarme d’une interdiction générale et inadaptée", Communiqué de presse, La Plasturgie fédération, Plastics
Europe, Elipso, 3 mai 2011.
5.
Vote
historique sur 3 familles de perturbateurs endocriniens, RES, 3 mai 2011
Des sites pour aller plus loin
Site de l'INRS
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