• Les complications rhumatologiques de la main diabétique.

     

    Les complications  rhumatologiques de la main diabétique.

     

    H.Hassikou,

    Service de médecine interne,  Hôpital Militaire  Moulay  Ismail , Meknès , Maroc.                                                                           



    INTRODUCTION :

     Les complications ostéo -articulaires du diabète sont fréquentes et diverses [1].  Leurs mécanismes physiopathologiques demeurent imparfaitement  élucidés.  Certaines sont la conséquence directe de l’hyperglycémie chronique et son effet sur le collagène, d’autres  sont simplement associées au diabète sans que son rôle puisse directement être incriminé [2].     

     PHYSIOPATHOLOGIE  DES MANIFESTATIONS RHUMATOLOGIQUES DU DIABETE

     Du fait d’une insulino-sécrétion absente ou très diminuée, la capacité de stocker le glucose sous forme de glycogène et de le transformer en acides gras est diminuée. L’hyperglycémie chronique va alors activer des voies métaboliques compensatrices,  celles de l’aldolase réductase et de la glycation non enzymatique [3,4,5].

    L’activation de la voie de l’aldolase réductase transforme le  glucose en sorbitol puis en fructose (figure  1)  [3, 4]. Le fructose a un pouvoir  glyquant supérieur à celui du glucose. Son accumulation entraînerait une asphyxie et mort cellulaire des tissus et serait à l’origine de neuropathie  et de micro angiopathie.

    Aldolase réductase                                 Sorbitol déshydrogénase                                                                                           

    Glucose             +            Sorbitol               →                      Fructose      


     NADPH                             NADP+                    NAD+           NADH

     Figure 1 : voie de l’aldolase réductase d’après Guillausseau.

     

    L’activation de la glycosylation non enzymatique (ou  glycation) va entraîner la réaction de Maillard ou réaction de « brunissage ». C’est une série de réactions aboutissant à une « caramélisation «  des protéines de structures à tous les niveaux de l’organisme [3]. Les conséquences de la réaction de Maillard sont résumées au niveau de la figure 2
    Diabète 
    +Augmentation du taux de Glucose,
     
     
    +Glyco - oxydation 
     Non  enzymatique.  

    +Produits de dégradation du   glucose « AGE ».                 

    +Fixation irréversible 
    +Sur le collagène.  


    Capsule articulaire 
    +Ligament

     
    Enraidissement     

    +Articulaire                                        
      
    vaisseau                                      

    +micro angiopathie    
     

    cristallin 

    +cataracte        

     

      

     Figure 2 : pathogénie des complications diabétiques par glycation non enzymatique

     

     LA  CHEIROARTHROPATHIE  DIABETIQUE  (CA)

     Issu  du  grec,  le  terme  de  « cheiroarthropathie »  désigne  une atteinte  articulaire  des  mains [6 ] .  Cette entité est appelée « syndrome of limited joint mobility »  (SLIM)  par les anglo-saxons et également dénommée « syndrome de la main raide » ou « main diabétique pseudo sclérodermique  [7,  8].  C’est la plainte la plus fréquemment exprimée par les diabétiques. Sa fréquence   est variable  selon les études entre 8 et 34 % à comparer aux 2% des sujets non diabétiques [9]. La CA  est une limitation indolore de la flexion et surtout de l’extension des doigts, principalement en regard des articulations métacarpo phalangiennes (MCP)  et interphalangiennes  proximales (IPP)  [9], l’ IPP du 5ème doigt est le plus  touché  [10]. Elle est responsable d’une attitude en flessum des  doigts. Elle  s’associe d’un remaniement  cutané scléreux  de type sclérodactylie, de syndrome de Raynaud ou  d’infarctus   pulpaire, ne se distinguant  de  la sclérodermie que par  l’absence  de  télangiectasie  [ 7  ,   8 ,   9  ]   .   Ces  modifications peuvent être  mises  en  évidence  dans  les  formes frustes  en demandant  au  sujet  de joindre  les mains dans le « signe de la prière » ; le défaut  d’accolement des faces palmaires des doigts signe l’enraidissement en flessum . Les explorations complémentaires [9] sont  souvent non contributives. Les radiographies montrent parfois des calcifications vasculaires et exceptionnellement des érosions osseuses  juxta articulaires. Il n’y a  pas de calcinose   sous  cutanée  comme  dans le  CREST syndrome. L’échographie met en évidence un épaississement du derme et des gaines  tendineuses.   La (CA) s’observe chez les diabétiques de tout âge. Elle est principalement corrélée  à la durée d’évolution du diabète, et semble peu dépendante de l’équilibre glycémique et de l’existence d’une micro angiopathie diabétique.

    L’évolution [9,  1] se fait  en  trois stades qui  ne  prennent en compte  que la restriction de  la mobilité articulaire :

    Stade1 : atteinte d’un doigt, généralement IPP, unilatérale. 

    Stade2 : atteinte de  deux doigts ou plus, essentiellement les 4ème et 5ème.

    Stade3 : atteinte des MCP et  des IPP de tous les doigts avec limitation d’au  moins d’une grosse articulation, le plus souvent  le poignet et le coude.

    Le traitement est mal codifié [6, 11], il comprend en premier lieu un meilleur équilibre du diabète. Le traitement rhumatologique proprement  dit repose principalement sur la rééducation mobilisatrice, visant à  restaurer  une certaine souplesse et un gain d’extension.

    SYNDROME  DE  CANAL  CARPIEN (SCC) 

     C’est la compression du nerf médian dans le canal carpien constitué par  la gouttière antérieure du carpe, fermé en avant par le ligament annulaire antérieur.

    Il se traduit par  des paresthésies à prédominance nocturne, touchant  les trois premiers doigts de la main. Selon Chammas [12], le SCC est observé  chez 7 à 25% des patients souffrant de diabète contre 4% chez les témoins. Cette fréquence est de 33 à 40% chez les patients présentant une cheiroarthropathie  diabétique stade 3. Rosenberg [9] rapporte une série de 1016 patients accusant un SCC ,un diabète antérieur ou survenant dans les six mois suivant les signes d’irritation du nerf médian était reconnu comme un facteur associé dans 6% des cas.

    Le SCC  prédomine chez les patients de sexe masculins, présentant un  diabète insulino dépendant (DID), et  il  peut être  du à un épaississement des  tissus  conjonctifs , ou  entrer dans le cadre de la neuropathie diabétique [9 , 12, 13].   Le traitement  du SCC [6, 9] repose sur l’équilibre de diabète, le port nocturne d’une attelle d’immobilisation du poignet en position neutre. La physiothérapie avec des ionisations à visée anti œdémateuse et anti inflammatoire  pourrait  donner une amélioration de plus de 40%. Les infiltrations locales d’un  dérivé glucocorticoïde sont à proscrire à cause du risque infectieux  et du déséquilibre du diabète.   Le traitement chirurgical se justifie en cas d’échec au  traitement médical, et dans les formes avec des troubles objectifs  d’amyotrophie de l’éminence thénar  ou  de trouble moteur.

    LA  MALADIE  DE  DUPUYTREN  (MD) 

     Elle se caractérise par un épaississement et une rétraction de l’aponévrose palmaire moyenne, due à une prolifération fibroblastique responsable d’une flexion progressive et irréductible des doigts. Elle prédomine sur le 2ème et 4ème doigts et épargne le 5ème.

    15 à 20% des diabétiques ont une MD isolée ou intégrée dans un tableau des complications diabétiques. Le sexe ratio est de un dans le DID [12]. La MD est présente chez  46% des patients diabétiques souffrant d’une cheiroarthropathie  diabétique et chez 21%  des diabétiques sans cheiroarthropathie [13].

     Selon  Bergaoui [14], la MD  et  la CA sont significativement  associées aux complications dégénératives oculaires et neurologiques, mais la MD ne prédit pas le développement d’autres complications du diabète. Une MD et une poly neuropathie peuvent se  développer  simultanément,  cette association est expliquée uniquement par l’âge  du patient et la durée du diabète. Le contrôle du diabète n’empêche pas le développement de la MD.  Le traitement  de la  MD des patients diabétiques  ne diffère pas de celui proposé aux patients non diabétiques. La décision  d’une prise en  charge médicale et/ou  chirurgicale   est  guidée par l’importance de  la gêne  fonctionnelle. Le traitement médical repose sur l’aponévrotomie à l’aiguille. Il s’agit  d’un  geste percutané qui consiste à injecter dans la corde aponévrotique et à sa périphérie un produit anesthésique et un  dérivé cortisonique. La section de la corde est obtenue par des mouvements  de  va et  vient à  l’aide du biseau de l’aiguille associés  à une extension  du  doigt [9].

     LE  DOIGT  A  RESSAUT

     Le « doigt à ressaut » est une ténosynovite  sténosante dans laquelle la constriction de la gaine des tendons est associée à la présence d’un nodule sur le tendon des fléchisseurs [9]. La mobilité de la flexion ou de l’extension  digitale peut être limitée.  Le phénomène de ressaut peut se produire dans le mouvement de flexion  ou d’extension du doigt atteint.  La fréquence de cette manifestation  est de 10% chez les diabétiques. La ténosynovite des fléchisseurs pourrait apparaître non seulement chez les patients atteints de  diabète non insulino dépendant (DNID) mais aussi chez  ceux qui  ont un diabète latent. Elle serait un facteur de risque de l’intolérance au glucose [15, 16].  Pour Gamstedt,  les facteurs les plus importants au développement d’une ténosynovite sont : l’âge  du  patient ; la  durée d’évolution du diabète  et  la  présence d’une MD [17]. Le traitement  fait appel aux infiltrations locales de dérivés cortisoniques et en cas d’échec à la chirurgie [9].

     LES TENDINITES 

     Les tendinites de la main diabétique, comme dans la population générale sont expliquées par :

    -          facteurs anatomiques : multiplicité des articulations, tendons longs grêles donc fragiles, l’importance des gaines et des tunnels fibreux inextensibles.

    -         facteurs mécaniques : région très mobile, complexité et finesse des gestes, fréquence de micro traumatismes.

    A ces facteurs s’ajoutent chez le diabétique, l’accumulation de collagène inflexible,  l’augmentation de son  agencement croisé et sa résistance aux collagénases .De même  l’association au diabète d’une augmentation des triglycérides, de cholestérol et de l’acide urique participe à la constitution des périarthrites [17].

    Le traitement consiste à soulager le patient par les antalgiques et les anti-inflammatoires non stéroïdiens, les moyens (application de la chaleur, du froid, des ondes courtes, l’ionisation…..) et le port d’orthèse. Les infiltrations cortisoniques peuvent être d’un secours sous réserve d’un bon équilibre du diabète et d’une asepsie rigoureuse.  

    SYNDROME  EPAULE –MAIN 

     C’est la forme clinique  la plus remarquable de l’algodystrophie du membre supérieur. Il associe :

           1)  un enraidissement douloureux de l’épaule.

           2) une impotence douloureuse de la main et des doigts avec des troubles vaso moteurs et trophiques. L’impotence est  très marquée, les  doigts sont  demi fléchis, toute tentative pour les étendre ou les fléchir davantage  est  pénible. Les troubles vaso moteurs évoluent typiquement en deux phases : phase de vaso dilatation où  la main  est chaude, œdémateuse ; phase de stase où la main  est froide, moite et cyanosée.  Les troubles trophiques intéressent les tissus sous cutanés qui, d’abord oedémateux, durcissent ensuite, colle aux plans profonds, la peau s’amincit  et devient lisse, les phanères s’altèrent (chute de poils,   ongles cassants).

     L’appareil capsuloligamentaire   se sclérose enraidissant les jointures. L’aponévrose palmaire peut se rétracter comme dans la MD et les muscles s’atrophient .Sur  les radiographies standard  les os sont parfois le siège d’une déminéralisation d’aspect moucheté [19]. Cette évolution en phases successives est schématique. En fait les mécanismes physiopathologiques de l’algoneurodystrophie ne sont que partiellement élucidés [20]. Le rôle prépondérant du système nerveux sympathique est actuellement remis en cause puisque des modifications fonctionnelles centrales sont également impliquées. Il existe aussi une hyperostéoclastose démontrée de manière directe (ponction biopsie osseuse ou indirecte (augmentation de l’hydroxyprolinurie et de la désoxypyridinoline) qui a conduit à l’utilisation des bisphosphonates dans cette affection. La fréquence de ce syndrome au cours du diabète n’est pas connue et sa prise en charge par le rhumatologue reste  difficile. Elle comporte des traitements médicamenteux, la rééducation pour lutter contre la douleur et les troubles vasomoteurs et parfois on a recours à l’arthrodistension sous scopie.

     ARTHROSE  ET  MAIN  DIABETIQUE 

     Concernant cette association, les avis des auteurs sont divergents. Pour certains les patients diabétiques courent  plus de risque à développer une arthrose et cette prédisposition pourrait être expliquée par le fait que l’insuline stimulerait la  synthèse de protéoglycanes et la croissance du collagène ; l’insulinopénie au niveau des cellules et la maladie vasculaire diabétique  atténueraient la chondrogénèse et l’ostéogénèse  requises pour la formation d’ostéophytes. D’autres études [9] ne suggèrent pas  l’augmentation de prévalence de l’arthrose chez les patients diabétiques, et aucune association significative n’a été trouvée entre diabète et signes radiologiques d’arthrose.

    COMPLICATIONS   INFECTEUSES

     La susceptibilité des diabétiques aux infections [9] est rapportée dans plusieurs travaux .L’hyper glycémie chronique diminue la  diapédèse et la phagocytose des polynucléaires neutrophiles. La colonisation  de la peau et des muqueuses par le staphylocoque doré est importante chez les sujets diabétiques par rapport à la population générale [21, 22] .Si l’infection  du pied diabétique, cause de morbidité et mortalité a fait l’objet de plusieurs travaux scientifiques, peu d’études se sont consacrées à l’incidence et la prévalence des infections ostéo articulaires de la main diabétique.

    REFERENCES  BIBLIOGRAPHIQUES

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    http://www.rhumato.info/MainDiab%C3%A9tique.htm

                      

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