En 2002, la loi Kouchner a instauré les droits des usagers de santé et cherché à améliorer la qualité du système de santé. Depuis, de nouveaux besoins ont émergé, comme l'ont constaté les auteurs
de 3 rapports dont les conclusions ont été débattues le 4 mars au Conseil économique, social et environnemental. Lors de ce colloque, ouvert par Nora Berra et Bernard Kouchner,
plusieurs pistes d'actions pour 2011, "Année des patients et de leurs droits", ont été débattues et pourraient déboucher sur de nouvelles évolutions.
La loi de 2002, une avancée théorique majeure
Les principaux droits inscrits par Bernard Kouchner, alors ministre de la santé, dans la loi
du 4 mars 2002 concernent notamment :
- La solidarité envers les personnes handicapées
- La participation à la gestion médicalisée de sa santé (accès direct au dossier, information sur sa santé, droit au refus d'un traitement, au secret, etc.)
- La qualité des soins (démocratie sanitaire avec accessibilité pour tous à des soins de qualité)
- Le coût de la santé (information sur les coûts de la prise en charge avant de la débuter)
- Et le droit au respect (respect de la personne, soulagement de la douleur, droit à l'intimité, à une vie digne jusqu'à la mort).
Neuf ans plus tard, ces droits ne sont pas toujours appliqués, et de nouveaux besoins ont émergé.
Droits des patients : enquête auprès des professionnels de santé
Dans le cadre de l'année des patients 2011, le ministère de la santé
a sollicité TNS Sofrès pour évaluer la perception des droits des patients par
40 professionnels de santé (médecins, sages-femmes, pharmaciens, infirmiers, etc.).
Ces personnels de santé se déclarent favorables à la mise en avant des droits des patients, même s'ils redoutent "une dégradation de la relation avec les patients et une remise en cause
progressive de leur statut" : poids de la parole du patient par rapport à la leur, craintes de judiciarisation à l'américaine...
Par ailleurs, plusieurs freins à l'application des droits sont mentionnés : le manque de temps et de moyens matériels (véritable leitmotiv...), le manque de coordination, de cohésion,
d'information et de formation, ainsi que la résistance de certains praticiens.
Enfin, certains droits semblent davantage discutés par ces professionnels : le respect des croyances et convictions du patient (pas toujours simple à concilier avec la médecine), les
droits à l'information directe du patient (qui n'est pas forcément prêt à recevoir ces données), le droit au secret (qui peut empêcher de prévenir les proches d'un risque), le droit de demander
réparation judiciaire... Inversement, les droits à ne pas être informé sur son état de santé ou de refuser un traitement sont mal perçus par les soignants.
De nouveaux enjeux pour les patients et leurs droits
Ces craintes, exprimées par les professionnels de santé, reflètent en partie les nouveaux enjeux pour les patients nés des évolutions de l'offre de santé, publique comme privée :
15 millions de personnes sont désormais atteintes d'une maladie chronique en France, ce qui nécessite une approche différente du soin (développement de l'éducation thérapeutique, rôle de la télémédecine, etc.). De plus l'information santé des usagers évolue,
notamment grâce à internet. Enfin, l'émergence de crises, comme celle de la
grippe A ou du Mediator, souligne l'urgence d'une amélioration de la transparence et
de la démocratie sanitaire.
Nora Berra, à l'issue de son allocution ouvrant le colloque de lancement du 4 mars de l'Année du Patient, nous précise les enjeux principaux de l'année à venir :
Les enjeux de 2011, année des patients et de leurs droits sur doctissimo.fr
Trois rapports, des dizaines de propositions concrètes
Ces enjeux ont été explorés par 3 missions préparatoires fin 2010 afin de proposer réflexions et pistes d'actions concrètes en 2011 :
- La mission "Faire vivre les droits des patients", confiée à Alain-Michel Ceretti et Laure Albertini (
cliquez ici
pour télécharger le rapport )
- La mission "La bientraitance à l'hôpital", confiée à Michelle Bressand, Michel Schmitt et Martine Chriqui-Reinecke (
cliquez ici pour télécharger le rapport)
- La mission "Les nouvelles attentes du citoyen, acteur de santé", confiée à Emmanuel Hirsch, Nicolas Brun et Joëlle Kivits (
cliquez ici pour télécharger le rapport)
Ces trois missions ont débouché, après plusieurs réunions et travaux de synthèse, sur de nombreuses propositions d'action, allant de l'accès au dossier médical (qui va évoluer bientôt en raison
du déploiement progressif du Dossier Médical Personnel) à
l'information des usagers sans inégalité (liée par exemple à la fracture technologique), en passant par une amélioration de la gestion des maladies chroniques, de la bientraitance (en
particulier dans les établissements de soins), de la démocratie sanitaire et de la transparence (sur les honoraires, les refus de soins, les conflits d'intérêt, la gestion des crises
sanitaires, etc.).
En pratique, ces propositions "feront l'objet d'une étude approfondie puis d'une application concrète par le ministère de la santé au cours des semaines à venir", selon ce même
ministère. Des actions qui auraient peut-être été plus concrètes (car nécessitant souvent un financement supplémentaire) et rapides si les députés s'étaient emparés d'une révision
législative de la loi Kouchner de 2002. Mais ce n'a pas été le cas, comme l'a regretté le Pr. Emmanuel Hirsch, président du comité d'éthique de l'AP/HP et co-auteur du rapport sur
"Les nouvelles attentes du citoyen, acteur de santé".
Les prochaines étapes
Outre la transformation attendue de certaines propositions en actions via le ministère, plusieurs étapes vont jalonner cette année du patient et de ses droits :
- Le 18 avril, la journée européenne des droits des patients
- En mai, 6 débats en région sur la bientraitance
- Tout au long de l'année, la labellisation d'initiatives "exemplaires" en faveur de la promotion des droits des patients. Ces initiatives labellisées pourront participer au 2ème concours
des droits des patients, dont les prix seront remis en fin d'année.
Un site web dédié a également été mis en ligne -2011-annee-droits-patients.sante.gouv.fr-, afin de relayer le
travail de réflexion des 3 missions, les communications des ministres et les manifestations nationales et régionales prévues pour 2011.
La santé est en pleine mutation en France, notamment en raison de l'importance grandissante des déficits depuis une dizaine d'années, la désertification médicale, l'explosion de nouvelles technologies et thérapies,
ainsi que de l'émergence du "patient-expert" (qui s'informe notamment par Doctissimo...), ce qui change la relation soignant-soigné. Ces bouleversements font émerger de nouvelles contraintes et
posent différentes questions, souvent éthiques. Il est donc souhaitable, même si les décisions ne sont pas toujours faciles à prendre un an avant une échéance électorale majeure, que cette
initiative de l'Année des patients et de leurs droits dépasse le simple catalogue des carences actuelles et débouche sur une amélioration concrète pour tous du fonctionnement de notre système
de santé.
Jean-Philippe Rivière
Sources :
- Loi n°2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, texte accessible en ligne
- "Colloque de lancement "2011, Année des patients et de leurs droits" : Une dynamique est lancée, des avancées concrètes sont attendues", 4 mars 2011, présentation accessible en
ligne
- "La perception des droits des patients par les professionnels de santé", Tns Sofrès pour le ministère de la santé, mars 2011, présentation téléchargeable en ligne
- Rapport de la mission "Faire vivre les droits des patients", Alain-Michel Ceretti et Laure Albertini, février 2011, téléchargeable en ligne
- Rapport de la mission "La bientraitance à l'hôpital", Michelle Bressand, Michel Schmitt et Martine Chriqui-Reinecke, février 2011, téléchargeable en ligne
- Rapport de la mission "Les nouvelles attentes du citoyen, acteur de santé", Emmanuel Hirsch, Nicolas Brun et Joëlle Kivits, février 2011, téléchargeable en ligne