• Dr Laurence Plat-Kutnowska, Endocrinologue-diabétologue

    Pourriez-vous expliquer votre métier ?

    Tout d’abord, je suis un médecin donc je soigne des patients. La particularité de l’endocrinologie en Belgique, c’est que les endocrinologues sont également diabétologues et c’est ce qui me plaît. Les patients que je traite sont des patients chroniques souffrant de diabète. Ce sont des patients que l’on connaît et que l’on suit au long cours. L’endocrinologie est principalement une activité de consultation. On accueille le patient, on l’examine, on l’interroge, on analyse les résultats de prise de sang, on adapte son traitement, on lui fait des prescriptions. C’est la part la plus importante de notre travail. Il y a aussi des patients qui sont hospitalisés (pour une autre pathologie, comme une appendicite par exemple), qui ne sont pas forcément nos patients, et que l’on va voir parce qu’au cours des analyses, on a découvert qu’ils souffraient de diabète. On nous appelle donc pour un avis.

    C’est un métier dans lequel aucun acte technique n’est posé, contrairement à d’autres spécialités de la médecine interne comme la gastro-entérologie, par exemple.

    Dans ma pratique hospitalière, je reçois près de 80% de patients diabétiques. Les autres patients consultent pour des problèmes de thyroïde, d’hypophyse, de surrénales,… ou des pathologies plus rares. Dans ce cas, je les réfère vers des services plus spécialisés. Il n’est pas rare que certains spécialistes ne s’occupent que d’une seule pathologie. Néanmoins, il est important de garder des internistes généraux, capables de déceler les différentes pathologies même si, pour le suivi, les patients seront référés à des services plus spécialisés. On ne fait bien que ce qu’on fait souvent et il faut être honnête vis-à-vis de son patient !

    Les patients dont je m’occupe sont, en moyenne, des personnes de plus de 60 ans. Je ne vois pas du tout d’enfants. Ils sont pris en charge par des endocrinologues pédiatres. Le diabète est traité de façon très différente chez l’enfant et chez l’adulte.

    Depuis combien d’années travaillez-vous ?

    J’ai eu mon diplôme de médecin à 25 ans ensuite j’ai fait 3 ans de médecine interne et puis l’endocrinologie. Comme je vais avoir 50 ans, cela fait un peu moins de 20 ans que je travaille comme endocrinologue. Mais pendant la spécialisation, je travaillais déjà.

    Avec quels autres professionnels collaborez-vous de façon plus étroite ?

    La diabétologie, c’est vraiment un travail d’équipe, avec le patient au milieu. Dans certaines pathologies comme le cancer, le patient subit la chimiothérapie. En diabétologie, le patient est vraiment acteur de son traitement, il est indispensable que le patient soit pleinement actif et c’est parfois difficile car cela fait appel à des efforts de diététique, d’exercices physiques,…vous obligez les patients à changer leurs habitudes de vie et c’est d’autant plus difficile quand cela arrive vers 60 ou 70 ans ! Les traitements fonctionnent mieux quand les patients font des efforts quant à leur mode de vie. Le travail avec le diététicien est donc fort important. Je collabore avec des infirmières dont le travail est d’éduquer le patient qui a besoin d’un traitement à base d’insuline (Comment se piquer, comment adapter sa dose d’insuline, comment faire son dosage de sucre dans le sang ? ). Je travaille aussi avec les cardiologues, les ophtalmologues, les néphrologues, les podologues,… car ils prennent les patients en charge pour les complications liées au diabète (complications micro-vasculaires, au niveau des yeux, des reins, des pieds,…).

    N’est-ce pas frustrant pour vous de vous occuper d’une maladie dont on ne guérit pas ?

    Non, parce qu’on soigne bien le diabète. On a actuellement beaucoup d’outils pour soigner correctement le diabète. Soigner le diabète en 2015 ce n’est pas pareil qu’en 2000 ou en 1900 ! Les médicaments ont évolué, les patients sont de mieux en mieux traités et donc on diminue de façon drastique les complications. On a compris l’importance de bien contrôler le diabète.

    Depuis que vous travaillez, avez-vous vu une évolution dans votre pratique ?

    Tout à fait ! En 20 ans, cela a beaucoup évolué et depuis 5 ans, il y a de nouveaux médicaments qui sont sortis, il y a des techniques de dosage des glycémies qui permettent d’améliorer le suivi et le confort de vie des patients. Ça évolue à tous les niveaux : au niveau de la prise en charge, de la technique, du matériel comme les pompes à insuline et des médicaments.

    Votre patientèle a-t-elle varié dans le temps ?

    Je reçois davantage de personnes jeunes atteintes de diabète de type 2 qu’autrefois car la population grossit de plus en plus, les gens mangent plus mais moins bien et se bougent de moins en moins. Or, l’obésité et la sédentarité sont des facteurs de risques de développer un diabète de type 2.

    Quel a été votre parcours scolaire et professionnel ?

    Un parcours très classique : les sciences et les maths dans l’enseignement secondaire. Je savais depuis toujours que je voulais être médecin. Mais je ne sais pas du tout ce qui m’a amené à ce choix ! Je ne me suis jamais posé la question et je n’ai jamais douté de mon choix. Mes parents m’ont dit qu’à 6 ans déjà je disais que je serais docteur et je n’ai jamais changé d’avis ! Quand j’ai été en âge de m’inscrire à l’université, je ne me suis posé aucune question, c’était clair que c’était la médecine. Je ne savais même pas ce qui existait d’autre.

    Pourtant, il n’y a aucun médecin dans ma famille qui aurait pu m’influencer. Mais j’avais davantage de facilités pour les sciences et les maths que pour les langues dans l’enseignement secondaire.

    Qu’est-ce qui vous a poussée ensuite à choisir la spécialisation en endocrinologie ?

    Très tôt, j’ai su que j’avais envie de faire de la médecine interne. Au tout début de mon cursus, on avait un cours d’histologie et cela me passionnait, tout comme ce qui avait un rapport avec l’endocrinologie. Et puis, il faut le dire, je suis très peu douée de mes mains donc pour le bien-être des patients, je savais que je ne pouvais pas faire quelque chose de chirurgical. Même les dissections en 1ère année, je massacrais tout. Je pense qu’on choisit une spécialité qui nous correspond. Assez rapidement, je savais que c’était la médecine interne que je voulais faire et finalement, assez rapidement, j’ai su que ce serait l’endocrinologie. D’une part, car il n’y a pas d’actes techniques et, d’autre part, parce que c’est avec des patients chroniques. La relation que l’on a avec des patients chroniques est très différente. Personnellement, durant mes stages, j’étais très malheureuse au service des urgences car les patients que vous soignez ne font que passer. Au bout d’une heure, ils disparaissent de votre vie. Je me sentais terriblement frustrée.

    Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans votre métier ?

    Ce que j’aime, c’est le côté relationnel avec les patients. Vous faites partie de leur vie et ils font partie de la vôtre. J’aime mes patients ! Je connais les prénoms de leurs petits-enfants quand ce sont de vieilles personnes qui me parlent de leur famille. Ces mêmes patients m’ont connue enceinte et me demandent des nouvelles de mes enfants. Il y a une relation de confiance qui s’installe et je pense que c’est important pour les patients diabétiques qui sont acteurs dans leur maladie. Je dirais même qu’il faut de l’amour pour que ça marche bien. Je dis souvent à mes patients que c’est comme si nous étions mariés car nous allons être amenés à nous voir au long cours, durant de nombreuses années mais je leur dis aussi qu’on a le droit de divorcer (rires). Le confort relationnel est important et globalement, je peux dire que j’aime mes patients.

    Quelle est votre charge de travail hebdomadaire ?

    En fait, j’ai pris la décision, il y a quelques années, de ne plus travailler temps plein car je voulais m’occuper un peu de mes enfants. Je travaille donc 4 jours sur 5. Je vois mes premiers patients à 8h du matin et les derniers vers 18h. Ensuite, il faut encore dicter au médecin traitant, faire du travail administratif (trop !) pour les remboursements, etc. Je travaille donc au minimum 10h par jour et bien souvent, sans pause à midi. À cela s’ajoute du travail à domicile, des séminaires, des conférences à destination de médecins généralistes. Tout cela prend du temps et se prépare à la maison ! Je pense qu’il ne faut pas être paresseux dans ce métier. En plus, il y a des gardes. Comme je suis dans un petit hôpital, je fais partie des gardes de médecine interne. Je suis de garde une semaine toutes les six semaines durant laquelle il faut être disponible le week-end aussi. Cela demande donc de s’organiser. En vieillissant, cela devient de plus en plus difficile car on n’a pas de récupérations possibles. Quand votre garde est terminée, vous reprenez le boulot. La charge de travail est donc relativement lourde. Et pourtant, on n’est pas riche pour autant ! Les gens qui se disent qu’ils vont faire la médecine pour avoir un truc sympa, sans trop travailler et bien gagner leur vie et bien, c’est faux ! Quand on voit les médecins généralistes qui travaillent énormément… Évidemment, il y a bien quelques spécialités où on gagne exceptionnellement très bien sa vie mais il faut encore pouvoir faire cette spécialité et il faut qu’elle vous plaise. Les ophtalmologues gagnent très bien leur vie mais jamais je n’aurais voulu exercer cette spécialité. Il faut savoir ce qu’on veut.

    Où exercez-vous votre pratique ?

    Je travaille dans plusieurs polycliniques. Le mardi, je travaille à Braine-L’Alleud, j’ai aussi une petite consultation par semaine à Erasme et le reste du temps, je travaille à Nivelles. Comme c’est une spécialité qui ne nécessite pas beaucoup de matériel, il est également possible de développer une consultation privée. En fait, vous pouvez organiser votre travail comme vous le voulez. L’endocrinologie se prête bien à cela. Vous pourriez par exemple décider de ne travailler que deux jours par semaine (pour autant que vous puissiez vous le permettre financièrement !). Ce n’est pas possible pour un chirurgien. Mais bon, moi, c’est une passion. Donc, même si demain je gagnais au Lotto, je continuerais à travailler comme endocrinologue !

    Que diriez-vous à un jeune souhaitant se lancer dans ce métier ?

    Que c’est un métier passionnant ! Que la médecine, c’est le plus beau métier du monde. La pathologie que je traite (le diabète) est intéressante et évolue très vite. J’apprends tous les jours et de tout le monde. Du point de vue humain, c’est magnifique.

    Voyez-vous néanmoins quelques inconvénients dans votre métier ?

    Parfois, vous êtes un peu envahi par vos patients, que ce soit directement ou indirectement. Quand un patient que vous suivez depuis longtemps ne va pas bien, il n’y a rien à faire, vous ramenez cela à la maison. Certains patients, parfois, vous harcèlent un petit peu. On a beaucoup de travail car le nombre de patients diabétiques ne cesse d’augmenter. Je pourrais limiter mon nombre de patients et travailler moins mais c’est difficile de mettre des limites. L’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle est parfois difficile à atteindre. Tous mes patients ont mon numéro de gsm. Lorsqu’il a une inquiétude, ils peuvent me passer un coup de fil mais, quand c’est le mercredi et que vous êtes avec vos enfants dans la voiture en train de faire votre deuxième métier qui est taximan et que votre téléphone sonne, les enfants râlent un peu. Ce n’est pas possible, dans ce métier, de faire du « On-Off ». Au final, mes enfants trouvent quand même que c’est gai d’avoir une maman qui est passionnée par ce qu’elle fait.

    Quelle sont les principales qualités pour exercer ce métier ?

    L’écoute, la curiosité, la patience. Il faut aussi accepter que les patients ne fassent pas ce que vous leur recommandez. Accepter que les patients vivent comme ils veulent et pas comme vous, vous voudriez qu’ils vivent ! La tolérance est donc une grande qualité aussi.

     

    http://metiers.siep.be/interviews/dr-laurence-plat-kutnowska/

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