• De l'obésisté au diabète, pourquoi ?

     Le diabète de type 2 est une maladie complexe, avec une composante génétique et environnementale, combinant à la fois un certain déficit insulino sécrétoire pancréatique et une insulino résistance touchant plusieurs tissus, le foie et le muscle notamment. De plus, il s'agit d'une maladie d'évolution progressive au cours du temps, ce qui en complique l'étude et la prise en charge. Enfin, si le diabète de type 2 offre de multiples possibilités thérapeutiques, aucune d'entre elles n'offre une solution idéale et définitive à cette problématique particulièrement difficile. Longtemps considéré comme un "petit diabète", le diabète de type 2 fait actuellement l'objet de toutes les attentions. II représente un véritable problème de santé publique compte tenu de sa forte prévalence, en constante augmentation par ailleurs, et des nombreuses comorbidités majeures associées, en particulier les maladies cardiovasculaires, qui représentent une charge médicale, sociale et économique de plus en plus importante.
    La relation du diabète de type 2 avec l'obésité est extrêmement forte, à tous les niveaux épidémiologique, physiopathologique et thérapeutique. Environ 80 % des patients diabétiques de type 2 ont un excès pondéral ou une obésité. Les études épidémiologiques ont montré qu'une prise de poids est significativement associée à un risque accru de développer un diabète de type 2 Inversement, des études d'intervention ont montré qu'un amaigrissement, même relativement modéré (quelques kilogrammes), suffit à réduire remarquablement le risque de progresser d'une diminution de la tolérance au glucose vers un diabète de type 2.
    Le but de cet article est de discuter les relations étroites entre obésité et diabète de type 2. Si l'obésité conduit au diabète de type 2, il convient d'essayer de répondre aux trois questions suivantes: pourquoi, qui et quand?
     
    1. Pourquoi le sujet obèse a-t'il un risque accru de devenir diabétique?
    Une balance énergétique positive prolongée conduit à un excès de masse grasse. Trois grandes théories endocrino-métaboliques ont été proposées pour expliquer comment ce processus est susceptible de favoriser le développement d'un diabète de type 2 (Figure 1):
    a. l'afflux des acides gras comme substrats énergétiques, d'une part, comme facteurs de lipotoxicité, d'autre part;
    b. le dépôt ectopique de triglycérides dans différents tissus dont le foie, le muscle squelettique et le pancréas endocrine, capable d'altérer le              fonctionnement cellulaire de ces trois organes jouant un rôle clé dans la physiopathologie du diabète de type 2.
    c. la production par le tissu adipeux de diverses cytokines (adipocytolkines ou adipolines), susceptibles d'aggraver l'insulinorésistance et probablement aussi, d'entraver la fonction de la cellule 3 des îlots de Langherans du pancréas.
    a) Rôle des acides gras.
     
    Les taux des acides gras circulants sont proportionnels à la masse de triglycérides dans le tissu adipeux et sont donc élevés chez les sujets obèses. II est connu depuis plus de 40 ans que les acides gras circulants sont des substrats énergétiques qui peuvent être utilisés par certaines cellules à la place du glucose, en particulier par les cellules musculaires squelettiques (théorie de la compétition de substrat).
    Plus les concentrations plasmatiques des acides gras sont élevées, plus la résistance à l'action de l'insuline est élevée, comme en atteste la diminution de l'utilisation du glucose lors d'un "clamp" euglycémique hyperinsu1inique. Outre cet effet purement métabolique, les acides gras libres sont également capables d'exercer un certain effet toxique vis-à-vis du fonctionnement de certaines cellules, notamment la cellule f3, et donc contribuer à une dysfonction et peut-être aussi à une apoptose des cellules 3 des îlots de Langherans du pancréas (lipotoxicité).
    b) Rôle des dépôts ectopiques de triglycérides.
    En cas de bilan énergétique excessivement positif, les triglycérides ne se déposent pas uniquement dans les tissus de réserve énergétique que représente le tissu adipeux blanc sous-cutané, mais également dans d'autres organes "nobles", comme le foie, le muscle squelettique et le pancréas endocrine.
    Ce phénomène participe au phénomène général de la lipotoxicité. La stéatose hépatique est certainement la mieux connue. Elle fait partie intégrante du syndrome métabolique associé à l'obésité et est de plus en plus reconnue comme jouant un rôle dansl'aggravation de l'insulinorésistance et le développement d'un diabète de type 2. Le dépôt de triglycérides autour et à l'intérieur des fibres musculaires squelettiques est moins bien connu car il ne peut être mis en évidence que par des méthodes d'imagerie sophistiquée ou par des techniques de biopsie musculaire.
    Diverses études ont montré une relation stricte entre l'insulinorésistance musculaire et le taux de triglycérides intra-myocytaires. Enfin le dépôt de triglycérides à l'intérieur des îlots de Langherans du pancréas et des cellules 3 contribuent à augmenter le stress oxydatif et à perturber la fonction de la cellule f3, voire à conduire celle-ci à l'apoptose.
    Ainsi, le dépôt ectopique de triglycérides pourrait rendre compte des troubles touchant 3 organes importants impliqués dans la physiopathologie du diabète de type 2, le foie, le muscle et le pancréas.
     c) Rôle des adipocytokines.
    Longtemps considéré comme de simples cellules de stockage (dépôt de triglycérides), les adipocytes sont maintenant reconnus comme étant des cellules endocrines de la plus haute importance. Outre la production d'angiotensinogène ou de l'inhibiteur de l'activateur du plasminogène de type 1 (PAI-1), molécules pouvant jouer un rôle majeur dans les problématiques cardio-vasculaires en relation avec l'obésité (hypertension artérielle, état pro-thrombogène), une production et libération de diverses cytokines a été décrite, phénomène qui pourrait jouer un rôle non négligeable dans la physiopathologie du diabète de type 2.
    Certaines sont produites en excès si les adipocytes deviennent hypertrophiques, comme le TNF-a (alpha) ou la résistine, alors que l'adiponectine présente la particularité d'être alors sécrétée en quantité insuffisante. Le TNF-a (alpha) et, dans une moindre mesure dans l'espèce humaine, la résistine accentuent l'insulinorésistance tandis que l'adiponectine améliore la sensibilité à l'insuline.
    Au vu de ces modifications de l'expression des adipokines, on peut aisément comprendre que l'excès de masse grasse puisse conduire à une aggravation de l'insulinorésistance, à la fois par des mécanismes paracrlnes et endocrines. Par ailleurs, certaines adipokines pourraient également interférer avec la fonction de la cellule B (beta) et contribuer au déficit insulinosécrétrice.
     
    2. Qui parmi les sujets obèses a le plus de risque de devenir diabétique ?
    Tous les sujets obèses, heureusement, ne vont pas progresser vers un diabète de type 2. II est donc important de pouvoir distinguer, dans l'importante population de sujets obèses, les individus qui sont le plus à risque de développer la maladie.
    Trois grands facteurs de risque ont été identifiés:
    a. le terrain génétique;
    b. la malnutrition in utero;
    c. la distribution intra-abdominale de la masse grasse 
    clic :www.diabete-abd.be
    a. Prédisposition génétique
    La prédisposition génétique du diabète de type 2 est connue de longue date. Elle apparaît déjà clairement lors de l'anamnèse familiale des patients au cours de laquelle il est habituel d'apprendre que un ou plusieurs apparentés du premier et/ou du second degré sont également atteints par le diabète de type 2.
    Cette prédisposition génétique a encore davantage été démontrée par l'étude des jumeaux: chez des jumeaux homozygotes, la concordance pour le diabète de type 2 est de l'ordre de 80 %! Si une forte composante génétique est incontestable, il ne s'agit cependant pas d'une forme monogénique (à tout le moins dans le diabète de type 2 commun associé à l'obésité, contrairement aux types particuliers appelés MODY), mais bien d'une forme polygénique.
    Certains gênes pourraient être impliqués dans les phénomènes d'insulinorésistance, tandis que d'autres pourraient contribuer aux anomalies insulinosécrétoires, Dans ce dernier cas, c'est surtout l'amputation de l'insulinosécrétion précoce (première phase d'insulinosécrétion après l'injection intraveineuse de glucose) qui paraît la plus fortement déterminée par une composante génétique puisqu'elle a déjà été détectée chez des descendants du premier degré, toujours normoglycémiques, de patients diabétiques de type 2.
    D'un point de vue pratique, il n'y a pas encore de marqueurs génétiques disponibles pour dépister les sujets obèses à risque de développer un diabète de type 2, mais ceux-ci peuvent être assez aisément repérés si l'anamnèse familiale est positive.
    b. Malnutrition in utero
    Divers travaux épidémiologiques ont montré que la malnutrition in utero, aboutissant à des enfants nouveau-nés de petite taille pour l'âge gestationnel, constitue un risque de développer ultérieurement une obésité, un syndrome métabolique (hypertension artérielle, dyslipidémie) et un diabète de type 2 (21).
     
    Les raisons résultent, sans doute, de l'expression préférentielle de gènes dits d'épargne ("thrifty phenotype'') qui jouent un rôle protecteur lors de la carence d'apport énergétique mais qui exercent un rôle délétère en cas de surabondance alimentaire après la naissance. Une multiplication insuffisante des cellules B (beta) durant la vie fœtale est également possible, aboutissant à un capital cellulaire déficitaire à l'âge adulte contribuant pour une part aux perturbations de l'insulinosécrétion.
    Ainsi, la malnutrition in utero pourrait constituer le lit des deux anomalies principales caractérisant le diabète de type 2, l'insulinorésistance et le déficit insulinosécrétoire.
     
    c. Adiposité intra-abdominale
    La distribution de la masse adipeuse joue un rôle majeur dans le risque de développer un diabète de type 2. A excès pondéral équivalent, il est désormais bien établi que c'est l'obésité abdominale qui est la plus délétère, et plus particulièrement l'adiposité intra-abdominale, dite aussi péri-viscérale (par opposition à l'adiposité sous-cutanée).
    Les raisons en sont diverses, anatomiques, biochimiques et physiologiques. Sur le plan anatomique, la masse grasse intra-abdominale est drainée préférentiellement par la voie portale, ce qui expose le foie à un flux accru d'acides gras avec notamment un risque accru de stéatose.
    D'un point de vue biochimique, les adipocytes périviscéraux sont plus riches en récepteurs f3-3 adrénergiques, et dont plus sensibles à la lipolyse que les adipocytes sous-cutanés. Enfin, en ce qui concerne la physiologie, les adipocytes centraux seraient capables de sécréter des quantités plus importantes de certaines adipokines, comme le TNF-a par exemple.
    La masse grasse périviscérale ne peut être finement appréciée que par la réalisation d'un examen tomodensitométrique abdominal, réservé aux études cliniques. En pratique, l'adiposité abdominale sera simplement repérée par la mesure de la circonférence de la taille: le risque de développer un diabète de type (et des complications cardio-vasculaires) est modérément accru pour un tour de taille
    > 94 cm et fortement accru pour un tour de taille
    > 102 cm chez l'homme (respectivement, > 80 cm et > 88 cm chez la femme).
    L'adiposité intra-abdominale est associée, non seulement à un risque accru de diabète de type 2, mais aussi à une propension à développer un syndrome métabolique (appelé aussi syndrome X ou syndrome d'insulinorésistance),
    Ce syndrome combine plusieurs facteurs de risque dont plus particulièrement une élévation de la pression artérielle (> 130/85 mm Hg) et une dyslipidémie (augmentation des triglycérides à jeun > 150 mg/dl, abaissement du cholestérol HDL < 40 mg/dl chez l'homme et < 50 mg/dl chez la femme).
    Tous ces facteurs prédisposent aux maladies cardiovasculaires, coronariennes ou cérébrales. En pratique, le sujet obèse qui présente ces autres stigmates du syndrome métabolique devra être considéré comme à risque accru de développer un diabète de type 2.
    3. Quand le sujet obèse prédisposé va t’il devenir diabétique?
    Une dernière question importante est de savoir quand le sujet obèse prédisposé va évoluer vers le diabète de type 2 puisque l'on sait qu'il existe une période de latence relativement longue.
    Le corollaire est de savoir s'il existe des interventions simples et efficaces capables d'enrayer cette progression et donc de retarder, voire d'éviter, la survenue d'un diabète de type 2.
    Cette évolution résulte généralement d'une défaillance de la cellule 3, devenant incapable de compenser pour l'insulinorésistance. Elle peut également être accélérée par certaines conditions environnementales, par exemple l'introduction de médicaments qui aggravent l'insulinorésistance (les glucocorticcides notamment).
    a. Défaillance de la cellule B (beta)
    Différents travaux, d'abord chez les indiens Pimas puis chez des sujets caucasiens, ont bien montré que la tolérance au glucose du sujet obèse reste normale tant que la cellule B (beta) est capable de compenser pour l'insu linorésistance.
    Dès que la cellule B (beta) défaille et n'est plus capable d'ajuster sa sécrétion d'insuline à la résistance tissulaire vis-à-vis de l'hormone, apparaît d'abord une diminution de la tolérance au glucose puis un diabète de type 2, pouvant progresser vers l'insulinorequérance (Figure 3).
    Les résultats de la grande étude "United Kingdom Prospective Diabetes Study" (UKPDS) ont bien montré que la dégradation métabolique observée durant les 6 à 10 années suivant le diagnostic de diabète de type 2 s'explique essentiellement par un épuisement progressif de la fonction 13-insulaire.
    II est donc important d'essayer de trouver de nouveaux médicaments capables de protéger le nombre et la fonction des cellules B (beta) et beaucoup d'espoirs sont actuellement placés dans les thiazolidinediones, encore appelées glitazones.
    B . Exacerbation de l’insulinorésistance
    Certaines circonstances amènent à une exacerbation brutale de l'insulinorésistance, exigeant une adaptation inhabituelle de la fonction insulinosécrétoire.
    Cela peut être le cas lors d'une grossesse. Le diabète gestationnel est alors révélateur d'un diabète de type 2 latent et ceci explique pourquoi les femmes avec antécédents de diabète gestationnel (suspecté a posteriori par la mise au monde d'un bébé pesant plus de 4 kg, dit macrosome) doivent être considérées à risque plus élevé de développer un diabète de type 2, souvent 10 ou 20 ans plus tard.
     
    C'est également le cas au cours d'une maladie intercurrente (notamment infectieuse, avec libération de cytokines) ou encore dans le décours d'une corticothérapie. Dans ce dernier cas, on parle souvent de diabète corti co-induit ou de diabète secondaire.
    Dans la plupart des cas, cependant, il s'agit, en fait, d'un diabète de type 2 latent et dont l'expression phénotypique est favorisée et accélérée par la corticothérapie, et ceci proportionnellement à la dose et à la durée du traitement.
    C.Intervention à visée protectrice.
    Le fait qu'il existe une période de latence relativement longue entre l'obésité et la survenue d'un diabète de type 2, même chez des sujets porteurs des différents facteurs de prédisposition susmentionnés, autorise l'espoir de pou voir intervenir sur cette évolution naturelle.
    La diminution de la tolérance au glucose telle qu'elle peut être dépistée lors d'une hyperglycémie provoquée par voie orale représente une étape intermédiaire entre la tolérance normale et le diabète avéré, Différentes stratégies à visée préventive peuvent être envisagées.
    La plus évidente est de diminuer substantiellement l'insulinorésistance, soit par des mesures hygiéno-diététiques (régime alimentaire et exercice physique), soit par des moyens pharmacologiques (metformine, par exemple).
     
    Ces deux stratégies ont prouvé leur efficacité, notamment dans la grande étude américaine "Diabetes Prévention Program" (DPP).-, Cette étude a montré que les mesures hygiéno-diététiques réduisent de 58 % et la metformine de 31% le risque de progresser d'une diminution de la tolérance au glucose vers un diabète de type 2.
    D'autres possibilités pharmacologiques ont également montré leurs effets positifs, l'acarbose chez les sujets avec diminution de la tolérance au glucose, l'orlistat chez les sujets avec obésité ou encore les inhibiteurs du système rénine-angiotensine (inhibiteurs de l'enzyme de conversion de l'angiotensine, antagonistes spécifiques des récepteurs AT1 de l'angiotensine) chez les sujets avec hypertension artérielle essentielle (connus également pour être à risque accru de diabète de type 2).
    Conclusions
    L’histoire naturelle, les mécanismes physiopathologiques et les marqueurs de risque de l'évolution de l'obésité vers le diabète de type 2 sont de mieux en mieux connus.
    La première étape consiste en une diminution de la tolérance au glucose, signant déjà un déficit relatif de l'insulinosécrétion précoce par rapport à l'insulinorésistance.
    Les facteurs de risque sont une prédisposition génétique, une malnutrition in utero et le développement d'une obésité abdominale, favorisée par une alimentation trop riche et par une sédentarité exagérée.
    Ces connaissances de plus en plus précises doivent conduire à l'instauration de stratégies de prévention du diabète de type 2 chez les sujets à haut risque.
    Les approches de prévention doivent privilégier les mesures hygiéno-diététiques, mais des mesures pharmacologiques doivent éventuellement être implémentées en cas de nécessité, en l'absence d'adhésion ou en cas de réponse insuffisante au régime et/ou à l'exercice physique ou encore chez les sujets à très haut risque.
    Professeur André J.Scheen
    Service de Diabétologie Nutrition et Maladies Métaboliques Département de Médecine CHU Sart Tilman Liège
    http://www.diabete-abd.be/obesite%20au%20diabete.htm
     
     
     
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