• Brigitte Godard, médecin de Thomas Pesquet, prépare son retour sur Terre

    Dans un entretien à Sciences et Avenir, Brigitte Godard, médecin des astronautes, explique ce qui va se passer physiologiquement lors du retour de Thomas Pesquet sur Terre, ce vendredi 2 juin.

    Test du Soyouz à quelques jours du retour sur Terre 

    L’HEURE DU RETOUR APPROCHE ! THOMAS PESQUET ET OLEG NIVISTKI TESTENT LEURS SCAPHANDRES ET LE VAISSEAU SPATIAL. "ON POURRAIT CROIRE QU’AVEC UN COÉQUIPIER DE MOINS DANS LE SOYOUZ, IL Y A PLUS DE PLACE… MAIS EN FAIT, J’AI L’IMPRESSION QUE C’EST ENCORE PLUS SERRÉ QU'À L’ALLER !", A COMMENTÉ L'ASTRONAUTE FRANÇAIS.

    ESA/NASA
     

     

    Sciences et Avenir : En tant que médecin des astronautes à l'ESA, quel est votre rôle auprès de Thomas Pesquet ?

    Brigitte Godard : Mon rôle consiste à m'assurer de son bon état de santé. Depuis qu'il est à bord de l'ISS, nous avons une communication de quinze minutes par semaine. Nous passons en revue les différents systèmes (vasculaire, cardiaque, osseux, neurologique, etc.). Je m'informe sur la qualité de son sommeil, s'il mange bien, s'il a pris des médicaments de son propre chef (il y a des médicaments à bord, pour les maux de tête, etc.), et sur la vie dans la station. On définit également ensemble les exercices de sport qui lui conviennent. Le but est d'éviter qu'il perde trop de masse musculaire et osseuse. Ce qui est perdu, il va le récupérer, mais moins on perd, mieux ça vaut.

     

     

    Comment s'est passée cette mission de 6 mois selon votre point de vue de médecin ?

    Cela a été une mission de rêve, tout s'est très bien passé, excepté quelques petits soucis mineurs, de type musculaires au début de la mission, qui ont été vite résolus. A bord de l'ISS, la vision de loin peut être affectée, car la seule chose à voir de loin, c'est la Terre, qui est à 400 km. Aucun humain ne peut voir avec précision un objet à 400 km. Au début de la mission, Thomas a cru que sa vision avait baissé. Il se plaignait de ne pas voir distinctement, alors que ses examens étaient bons. Je ne comprenais pas, en fait c'était simplement son ressenti, puisqu'il ne pouvait pas forcément voir à l'œil nu avec précision les reliefs terrestres. Aujourd'hui, Thomas est en forme, il travaille vite et bien.

    Comment vous organisez-vous pour son retour sur Terre ?

    Actuellement, je suis à Moscou à la Cité des étoiles pour préparer nos bagages médicaux. C'est un sac qui reste en Russie et sert à chaque médecin des astronautes. Mercredi 31, nous partons au Kazakhstan. Dans la journée du 2 nous allons rejoindre en hélicoptères l'endroit où la capsule va atterrir. Tout est chronométré. Une dizaine d'hélicoptères décollent ensemble à la quête de la capsule. On va la voir atterrir en direct, pour être au pied à la sortie des astronautes. C'est très beau, très émouvant de voir arriver Soyouz, se déployer son parachute… et se dire que les astronautes sont dedans, qu'on va les voir sortir de la capsule. On est impatient à ce moment-là ! Mais l'atterrissage est très dur, le choc avec le sol violent.

    "Avant de toucher terre, les astronautes ressentent les effets de la gravité qui attire tous les fluides vers les pieds, et provoque le phénomène de "cerveau vide"

     

    Dans quel état sont les astronautes lorsqu'ils sortent de la capsule Soyouz ?

    Ils ont le "mal de l'espace" qui provoque la nausée. Ils ne marchent pas droit du fait du changement de gravité. Ça les cloue au sol. D'un coup, leurs 70 kilos vont leur sembler 140 kilos. Déjà, ils se sont pris 4g en entrant dans l'atmosphère. Un peu avant de toucher terre, ils ont commencé à ressentir les effets de la gravité qui attire tous les fluides vers les pieds, et provoque le phénomène de "cerveau vide". Pour limiter cela, on utilise une méthode russe, soit un pantalon qui comprime les jambes et permet le retour veineux. Sur Terre, ils voient comme 36000 chandelles et ne peuvent pas remuer la tête. Ils peuvent aussi avoir des douleurs dans le dos aux genoux. De fait, le Soyouz est fait pour les Russes, qui sont plus petits que les Européens.

    Où Thomas Pesquet passera-t-il sa première nuit sur Terre ?

    En Allemagne. Un avion le conduira directement de l'aéroport jusqu'à Cologne, où se trouve le Centre des Astronautes européens (EAC). Il passera sa première nuit " terrestre " dans le laboratoire médical Envihab, de manière à surveiller sa réadaptation à la gravité. C'est le quatrième astronaute qui rentre ainsi à Cologne après une mission sur l'ISS. Le premier était l'Allemand Alexander Gerst et il y avait un fort désir politique de retour direct en Allemagne. Auparavant, les astronautes européens allaient à Houston à leur retour sur Terre. Mais le centre européen de Cologne aimerait être autonome et essaie de faire de plus en plus de choses sur place. Avant, il fallait se déplacer à Houston pour faire les examens médicaux. Et cela a un coût financier. Mais si l'équipage avait été composé d'un Américain et d'un Européen, il aurait été plus facile que les deux aillent à Houston.

    Va-t-il partir en vacances ensuite ?

    Non pas encore. Au retour, Thomas va être fatigué, car la mission a été intense. Et le retour en Soyouz est traumatisant. Il va passer trois semaines à un mois dans les mains de son médecin et des scientifiques. Des examens médicaux sont programmés à J+1, J+10, etc. Durant son séjour, il a perdu des muscles et de la densité osseuse. Après s'être habitué à l'apesanteur, il doit se réhabituer à la gravité terrestre. Dans la station, il faut une semaine pour se sentir mieux, un mois pour être "  comme à la maison " et six mois plus tard vous êtes comme un poisson dans l'eau. Il va se passer la même chose au retour. Et il aura à nouveau 2h00 de sport par jour. Au début, c'est du massage. Et progressivement on va s'adapter à ce qu'il est capable de faire pour lui donner la meilleure réhabilitation. Tous les systèmes sont atteints : il y a une perte musculaire de 30 à 50% ; le cœur, qui est un muscle, bat plus vite, la tension est plus basse. Outre la baisse d'acuité visuelle qui touche un astronaute sur trois,  on constate souvent une perte d'audition à cause du bruit des machines qui fonctionnent en permanence dans l'ISS. Ce qui met le plus de temps à se reconstituer, c'est la densité osseuse qui diminue de 1% par mois passé dans l'espace.  Mais Thomas n'a que 39 ans et un corps jeune se remet plus vite. Il faudra 6 mois à 1 an Pour que tout revienne à la normale. Et certaines pertes sont parfois irréversibles.

    Fera-t-il des déplacements à l'étranger ?

    Pendant les premières semaines, il reste à nos côtés. Il n'a pas le droit de faire des vols long courrier. Son premier voyage sera pour aller au salon du Bourget, en juin. Mais comme c'est avant la période clef des trois semaines, si quelque chose ne va pas, il n'ira pas, bien sûr. Ensuite il ira rapidement à Houston pour le débriefing à la Nasa sur les expériences scientifiques. Pour progresser, il faut comprendre comment l'astronaute a vécu son séjour, ce que l'on peut améliorer. Pourquoi les astronautes vont-ils dans l'espace ? Pour faire des expériences scientifiques et découvrir la vie en apesanteur. Ils sont à la fois sujets et acteurs des expériences. Il est donc important de tester à leur retour ce qui a changé en apesanteur, de comprendre les modifications. Pour faire progresser la science des vols habités.

     

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