• La première injection d'insuline

    Le 2 décembre 1921, un jeune garçon de 14 ans, Leonard Thomson, entrait d’urgence à l’Hôpital Général de Toronto. Il ne pesait plus que 65 livres (30 kg) et sa vie ne tenait plus qu’à un fil. Il ne lui restait plus que la peau et les os, comme un de ces prisonniers de camp de concentration. Son diabète avait été diagnostiqué deux ans auparavant. À l’époque, on savait que tous étaient condamnés à mourir très rapidement. Avec une diète sévère, on pouvait vivre de trois à quatre ans au maximum.

    À l’hôpital, Leonard Thomson avait une diète limitée à 450 calories par jour et pourtant ses glycémies atteignaient facilement 28 mmol/L et il était toujours en acidocétose. Les médecins ne lui donnaient que quelques semaines à vivre.

    Sur la piste de l'insuline

    Depuis quelques mois seulement deux chercheurs, le Dr Frederick Banting et Charles Best, sous la direction du Dr John Macleod, étaient à la recherche de la fameuse substance mystérieuse qui jouait un rôle primordial dans le diabète. Ils avaient réussi à isoler une substance prélevée sur des pancréas de chien et à l’injecter à d’autres chiens dont on avait enlevé le pancréas. Ils avaient remarqué que les chiens rendus diabétiques pouvaient être sauvés par cette substance.

    Les résultats étaient cependant très variables parce que les chercheurs n’avaient pas réussi à purifier suffisamment l'insuline. Ils injectaient plutôt un mélange d’insuline et d’autres substances. Il arrivait fréquemment que des abcès apparaissent aux lieux d’injection.

    Une question de pureté

    Un jeune chimiste du nom de James Collip vient alors se joindre au groupe. Son but : obtenir une insuline purifiée. Sans lui, l’équipe ne serait jamais venue à obtenir des résultats positifs aussi rapidement. Pendant que Banting et Best poursuivent leur recherche sur les chiens, Collip utilise des pancréas de bœuf et travaille à affiner sa technique d’extraction de l’insuline et très rapidement il choisit l’alcool à différentes concentrations pour ce faire.

    Malgré des résultats très préliminaires, Banting et Best ne rêvent qu’à une chose, c’est de faire de l’expérimentation humaine. Par exemple, ils ne savaient pas que l’insuline donnée en trop grande quantité peut causer des hypoglycémies sévères.

    La première injection

    Ils parlent de leur découverte à des médecins de l’hôpital. Ils testent un extrait sur un chien, constatent qu’il y a baisse de la glycémie et se rendent avec cet extrait à l’hôpital. Le 11 janvier 1922, la première injection est donnée à Leonard Thomson. Selon le médecin qui fait l’injection, le liquide épais est de couleur brune, ce qui indique bien la présence d’autres substances. Des analyses sont faites le lendemain. La glycémie est tombée de 24,5 à 17,8 mmol/L. Dans les urines, il y a bien entendu encore beaucoup de sucre qui passe. La première injection est donc un demi échec.

    Macleod et Collip n’ont pas été mis au courant des intentions de Banting et Best. Ils sont donc surpris et furieux d’avoir été gardés dans l’ignorance. Collip considère qu’il peut obtenir une insuline plus pure et leur dit qu’ils auraient dû attendre avant de se lancer dans l’expérimentation humaine. Selon l’historien Michael Bliss, auteur du livre La découverte de l’insuline, Collip aurait même parlé de faire breveter la purification du produit et d’abandonner le groupe. Ce n’est qu’après de difficiles et orageuses discussions que les quatre chercheurs ont décidé de ne pas avoir recours au brevet, mais bien de partager leurs connaissances avec les autres chercheurs.

    La deuxième injection

    Ce n’est que le 23 janvier, douze jours après la première injection, que Collip se sent prêt, après avoir testé à plusieurs reprises son insuline, à reprendre les injections sur Thomson. Cette fois-ci, il s’agit d’un véritable succès. Sa glycémie passe de 28,9 à 6,7 mmol/L. À peu près plus de sucre dans les urines. Les deux jours suivants, Leonard ne reçoit pas d’extrait; la glycémie monte. Dans les semaines qui vont suivre, on lui en administra tous les jours. Il reprend du poids et de la force. Les découvreurs savent qu’ils viennent de faire une grande découverte.

    Dès février 1922, six autres diabétiques reçoivent l’extrait avec les mêmes bons résultats. L’extrait s’appelait alors isletin, ce n’est qu’en avril 1922, que son nom définitif est donné : l’insuline.

    La production d'insuline

    La méthode d’extraction est au début très artisanale. L’insuline est donc difficile à produire en grande quantité. Leonard Thomson est envoyé chez lui en mai sans insuline, parce qu’on en manque. En octobre, il est réadmis à l’hôpital en aussi piètre condition qu’il l’était avant sa première injection. On le met alors de façon permanente sur insuline. À cette époque plusieurs centres de recherche s’étaient lancés dans la production d’insuline. Et la compagnie Eli Lilly aux États-Unis, dès 1923, se lance dans la production industrielle de l’insuline et les laboratoires Connaught font de même à Toronto.

    Leonard Thomson a eu une vie à peu près normale après. Il devint assistant dans une usine de produits chimiques. Ses glycémies étaient malheureusement mal contrôlées par rapport à ce qu’on peut obtenir aujourd’hui avec le grand choix de types d’insulines et l’autocontrôle. En 1932, il fut hospitalisé suite à un coma. Mais il reprit son travail.

    Le 20 avril 1935, Leonard Thomson s’éteignait suite à une pneumonie compliquée par une acidose sévère. Son pancréas a été conservé au musée de l’Institut Banting. Frederick Banting voulant savoir de son médecin comment avait été la vie de Leonard, il se fit répondre que celui-ci avait toujours bien suivi son régime alimentaire, mais qu’il aimait prendre un bon coup au moins une fois par semaine.

    Quatre-vingts ans plus tard, c’est par millions que des gens peuvent vivre grâce à l’une des plus grandes découvertes du XXe siècle.

    Merci Banting, Best, Collip, Macleod et… Leonard.

     

    Source : Plein Soleil – Automne 2002.

    http://www.diabete.qc.ca/html/vivre_avec_diabete/histoire/html/premiere_injection.html

     

    Partager via Gmail Yahoo! Google Bookmarks